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3 Lectures pour avancer (Bernard Philippe, groupe de Rennes)

S Sara Public Seen by 61

Voilà dans ce temps suspendu, j'ai voulu écrire ce qui me trottait dans la tête à partir de la lecture de 3 livres qui m'ont beaucoup plu (références en fin de texte).

J'ai les 3 livres. Avis aux amateurs !

Amicalement,

Bernard Philippe (groupe de Rennes)

Des lectures qui m’ont fait avancer

Il y a quelques années la lecture du livre de Naomi Klein « La stratégie du choc » [1] m’avait passionné ; quand j’ai découvert une fiche de lecture dans Études (février 2020) sur son dernier livre « Plan B pour la planète : le New Deal Vert » [2] , je me suis précipité pour l’acheter. La lecture de ces deux livres avaient été précédée par celle du livre « Effondrement » [3] de Jared Diamond dont des chapitres me reviennent régulièrement à l’esprit tant sa description de sociétés disparues faute d’adaptation m’avait marqué. J’aimerais montrer comment ces lectures se complètent dans ma compréhension de la situation et de l’avenir du monde. Perspective grandiloquente ? N’ayons pas peur !

Naomi Klein est une journaliste née avec la nationalité canadienne qui a ensuite acquis la nationalité américaine. Elle vit principalement aux Etats-Unis et représente l’aile gauche de la politique américaine, celle qui n’a pas peur de dire qu’elle est socialiste, ce qui est un « gros mot » pour la plus grande partie des Américains, même démocrates. Actuellement c’est Bernie Sanders qui est le plus proche de ses idées dans les primaires démocrates. Elle est une militante (on utilise maintenant l’anglicisme d’activiste) qui s’est battue contre les compagnies minières ou pétrolières pour les dommages qu’elles causent d’une part à l’environnement avec les extractions, les pipelines ou les plateformes, et d’autre part aux populations locales en particulier Amérindiennes. Elle est une militante anticolonialiste et contre toutes les formes de racisme.

Partons du livre le plus récent de N. Klein. A côté d’une introduction et un épilogue écrits maintenant, elle rassemble, en une petite vingtaine de chapitres, des articles ou discours qu’elle a produits depuis 2010 sur le thème du changement climatique et propose la démarche à suivre pour que la société l’affronte. On perçoit ainsi la progression de sa pensée jusqu’à la proposition de ce New Deal vert qu’avec des associations et des politiques elle propose. Cela met aussi devant nos yeux les dommages irréparables infligés à la terre pendant cette décade. Elle insiste sur la nécessité de changer toute la société pour que celle-ci ne repose plus sur le profit des grandes compagnies et des plus riches mais sur le partage des biens communs et le respect de chacun y compris dans sa culture. « Tout est lié » dit le Pape François dans Laudato Si’.

Elle montre le déni dans la prise en compte des avertissements des scientifiques depuis 1988 et s’interroge sur la raison du déni puisque le message était clair et qu’il devient de plus en plus précis. Elle fustige le capitalisme qui « vilipende l’action collective et vénère le libre échange total face à un problème qui exige un effort collectif à une échelle encore inédite et un contrôle drastique des forces du marché qui ont créé cette crise et continuent de l’aggraver ». Pour argumenter cette affirmation, elle décrit l’action d’un « think tank » (l’institut Heartland) qui reconnaît à travers un de ses adeptes que « l’écologie politique moderne fait progresser avec succès plusieurs causes chères à la gauche : la redistribution des richesses, les hausses fiscales, l’intensification des interventions de l’État, la régulation ». Rien que des horreurs ! Pour elle, ceux qui tirent profit de la situation actuelle (les très riches grâce aux multinationales qui imposent leur loi) sont a priori climato-sceptiques car ils risquent trop de perdre dans un changement de modèle. Elle retrouve là une analyse marxiste. A titre d’exemple, elle rapporte une situation qui illustre les choix tout-à-fait insuffisants de sécurité du groupe pétrolier BP qui gérait la plateforme pétrolière Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique. Cette plate-forme a explosé en avril 2010 et d’avril à juillet, le pétrole s’est écoulé, provoquant la plus grande marée noire américaine car l’investissement sur la sécurité préventive avait été volontairement sous-évalué.

J’ai trouvé cette argumentation très convaincante mais sans doute le déni n’est-il pas porté que par les grands possédants. Là, je me rappelle ce que Jared Diamond narre quand il décrit la société Viking au Groenland qui n’avait pas su s’adapter pour se passer de bois de chauffe. A leur arrivée l’île était vierge et très boisée. Ils ont donc continué leur mode de vie en abattant les arbres pour se chauffer, pour fabriquer leurs outils en fer, pour construire leurs maisons. Mais un jour, d’arbres il n’y en avait plus et alors la société a décliné jusqu’à disparaître. Dans un autre chapitre, l’auteur se demande ce qu’a pensé le Pascuan qui a abattu le dernier grand palmier de l’île de Pâques, autre société disparue. Ainsi, les sociétés sont capables d’être assez aveugles pour agir en détériorant leur environnement et ainsi provoquer leur disparition. Ce n’est pas très réjouissant pour notre futur et pourtant il semble que le monde d’aujourd’hui soit dans le même déni.

Revenons au livre de N. Klein. A travers plusieurs exemples de catastrophes climatiques ou de manières de panser les plaies après la catastrophe, elle montre que la société actuelle est résignée car les gens les plus touchés sont les pauvres (les habitants pauvres d’une région de pays riche ou les habitants de pays pauvres) et que ceux qui ont le pouvoir de décision ne sont pas affectés par les dégâts.

Dans son livre « La stratégie du choc », elle avait décrit comment le libéralisme à outrance, tel que défendu et popularisé par les économistes de l’école de Chicago (Milton Friedman et ses collègues), mettait à profit des situations de chocs dans les sociétés pour modeler les institutions d’un pays. Que ce soit une catastrophe naturelle ou une situation politique menant à un coup d’état, ils utilisent le syndrome d’hébétude de la population après le choc pour lui imposer ce qu’elle n’aurait pas supporté dans un temps calme. Elle prend les situations, pays par pays, beaucoup en Amérique Latine mais pas seulement, et l’illustre magnifiquement. Elle appelle cela « éloge de la table rase ». Son exemple d’introduction décrit la situation en Louisiane après le passage du cyclone Katrina (2005) . Elle écrit :

Contrairement à la réfection des digues et au rétablissement du réseau électrique, la vente aux enchères du réseau scolaire de La Nouvelle Orléans s’effectua avec une rapidité et une précision toutes militaires. Dix-neuf mois après les inondations, alors que la plupart des pauvres de la ville étaient encore en exil, presque toutes les écoles publiques de La Nouvelle Orléans avaient été remplacées par des écoles à charte exploitées par le secteur privé. Avant l’ouragan Katrina, le conseil scolaire comptait 123 écoles : il n’en restait plus que 4. Il y avait alors 7 écoles à chartes ; elles étaient désormais 31.

Toute la logique du libéralisme est dans cette affaire : le mépris des Noirs, la peur du socialisme que représente une organisation publique, le transfert de services au secteur privé, le licenciement de beaucoup d’enseignants et une baisse de salaire pour les réembauchés dans le privé.

Face à ces constats et analyses, que propose N. Klein ? Le New Deal Vert ! C’est en fait un mouvement soutenu par beaucoup de militants et au niveau du Congrès par Bernie Sanders et Elizabeth Warren ainsi que par Alexandria Ocasio-Cortez qui le défend depuis 2018. C’est un effort financier et de changements de règles comparable à l’effort qui avait été déployé lors du New Deal de Roosevelt (1933-1938). Dans ce livre N. Klein met son espoir dans les primaires démocrates pour que l’un des supporters du New Deal soit choisi comme candidat contre Trump. Malheureusement nous savons aujourd’hui que les deux en sont écartés.

Le plan n’est pas seulement un plan pour respecter les accords de Paris mais c’est aussi un plan de justice sociale. L’idée est que les États-Unis passent d'ici 2030 à un réseau électrique fonctionnant à 100 % grâce aux énergies renouvelables, pour ainsi mettre fin à l'utilisation des combustibles fossiles. Le gouvernement fédéral doit investir dans la construction à grande échelle d'infrastructures vertes. Les compagnies du secteur des combustibles fossiles et les banques qui les financent mettent toute leur énergie à dénigrer le projet qui les limiterait dans leurs activités. Et pourtant N. Klein considère que ce plan n’est pas si impossible à développer car ses avantages sont :

Un puissant générateur d’emploi (avec le déploiement des énergies vertes)

L’avènement d’une économie plus juste (principe du pollueur payeur par l’imposition de grands groupes)

Se servir de la puissance de l’urgence (pour y mettre toute son énergie)

Résister à toute forme de procrastination (les pays pollueurs doivent agir sur 10 ans)

Résister à la récession (le New Deal est un stimulant économique)

En finir avec les mesures impopulaires (mesures socialement acceptées parce que justes)

Soulever une armée de soutiens (priorité aux travailleurs vulnérables et sociétés exclues)

Construire de nouvelles alliances (grâce aux avantages que les populations en tireront)

Nous sommes nés pour ce moment

Elle conclut son chapitre et son livre par :

Lorsque l’avenir de la vie est en jeu, il n’y a rien que nous ne puissions accomplir

Pour conclure, je dirais que j’ai été convaincu par la nécessité d’un plan du genre du New Deal Vert. Comme toujours la partie analyse des raisons est plus construite que le plan lui même. Sans doute est ce normal car un tel plan pour réussir doit être élaboré avec la population d’abord localement et ensuite globalement. Sans convaincre d’abord les citoyens qu’un tel plan leur apportera une amélioration dans la vie, et pas seulement matérielle, le plan est voué à l’échec. Plusieurs fois dans le livre, N. Klein revient sur les incendies (c’était avant les incendies d’Australie de cette année) en disant que la terre brûle, qu’il y a urgence à agir ! Peut-être l’onde de choc mondiale du Covid-19 apportera un choc qui cette fois-ci sera utilisé pour mettre en route une politique de justice climatique et sociale mondiale. Nous avons le droit de rêver !

Bernard

[1] La stratégie du choc – La montée d’un capitalisme du désastre. Naomi Klein. Actes Sud, coll. Babel, 2008.

[2] Plan B pour la planète : le New Deal vert. Naomi Klein. Actes Sud, coll. Questions de société, 2019.

[3] Effondrement – Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie. Jared Diamond. Gallimard, coll. Essais, 2006.

L

Louys Tue 7 Apr 2020 10:20AM

Très intéressant , cette mise en perspective des nouvelles solutions d'organisation économiques et sociales . Merci .
Il reste un problème de structure de l économie , pour revenir à des échelles économiques intermédiaires , villes moyennes , production d'énergie a taille moyenne, enseignement formation dans des réseaux de taille moyenne, etc ....
c'est un grand chantier et nous n avons pas encore les pilotes, capitaines , leaders , inspirateurs, etc qui sauront gérer ce changement à cette échelle.
Toute l élite est entrainée vers 'l'excellence' .Hors tout le monde ne finit pas a Harvard ou a l ENA , heureusement. Donc il faudra aussi des objectifs de formation pour retrouver des compétences plus locales et régionales et cela dans l'éthique , bien sûr. Comme vous le soulignez , tout est lié...
c'est juste ce que çà m inspire ... Merci encore pour cet éclairage sur Naomi Klein notamment.
Mireille

DU

LOUICHE Wed 8 Apr 2020 3:22PM

Le pacte pouvoir de vivre nous sollicite

DU

LOUICHE Wed 8 Apr 2020 3:24PM

associons nous au pacte civique pour répondre

TL

therese L. Thu 9 Apr 2020 8:58AM

Merci à Bernard d'avoir pris le temps de nous communiquer son analyse des livres de Naomi Klein et quelques ouvertures sur Jared Diamond. Je vais transmettre ce message à mes amis qui pourront y trouver de l 'inspiration pour réfléchir... Loin des pétitions de principe et des messages "bien pensants" sur "'après confinement" dénués d'analyse solides. Là, Bernard nous propose une vraie matière à réflexion et nous invite nous aussi à nous référer aux analyses de chercheurs pour construire de nouvelles propositions.

G

GUERARD Fri 10 Apr 2020 1:58PM

Merci Bernard pour ta présentation du livre de Noami Klein. Ton compte rendu et ton analyse de présentation du livre me pousse à le lire. Profitons du choc reçu par cette catastrophe mondiale pour renforcer nos convictions et nos engagements pour réaliser le New Deal.

H

Henri Fri 17 Apr 2020 7:48PM

Deux livres de mon confinement.
Le premier QUAND LA GAUCHE ESSAYAIT Serge Halimi.
En 1981 j’avais aimé l’élection de François Mitterand. Depuis des décennies c’était la droite qui dirigeait le pays. De Gaulle, Pompidou, Giscard ; des centrales nucléaires , le Larzac, la croissance, l’agriculture moderne mais industrielle, les colonies devenues indépendantes mais soumise, bref la glaciation. Mitterrand arrive : j’avais 40 ans, j’y avais cru. Je croyais que tout allait changer.
Serge Halimi montre comment, dès 1983, avec le tournant de la rigueur, tout va redevenir et continuer comme avant. La « gauche » va nous montrer qu’elle ne peut pas, parce qu’elle ne veut pas, lutter contre l’idéologie néo-libérale. On va voir Maastricht, les privatisations,…

Le second : LA FIN DE L AMOUR par Eva Illiouz
Eva Illiouz, sociologue, constate que , depuis les années 1960, ce qui relie les hommes et les femmes dans le couple, a changé, sous l’influence de l’idéologie néo-libérale.
La vie sociale en générale a perdu certains de ses codes, remplacés donc par une liberté revendiquée par tous. Les relations sociales, les relations entre les personnes, ne dépendent plus de règles, devenues insupportables ; c’est le règne de la liberté, de la technologie, du consumérisme. La personne, l’autre que je cherche à rencontrer, de sujet risque de n’être plus qu’un objet, que je prends ou que je rejette, comme les objets que je trouve dans les supermarchés.
Quel est le prix de cette liberté et qui le paye?

FL

François Leclercq Sat 18 Apr 2020 12:49PM

La fin de l'amour? Ou le début?
On pourrait affirmer exactement le contraire.
La liberté (la pilule?) a fait que les couples ont pu échapper à la contrainte normative. Restent ensemble ceux qui le souhaitent, ceux qui le désirent. La liberté a pu faire épanouir des sentiments vivants. Peut-être que certains ont aimé le consumérisme. Mais au total, l'amour y a trouvé son compte. Je ne regrette pas le couple bourgeois du début du 20ème siècle.