Framavox
Thu 12 Jun 2025 5:04PM

Notes sur la facilitation

A Amans Public Seen by 84

Vers la fin de notre deuxième saison d'ouvrage avec le groupe de soutien, de recherche et de pratiques en justice coopérative de Concoret (appellation qui n'est ni validée ni invalidée par le groupe en question :^) entre autres ... j'ai rédigé ces notes que je partage avec vous. C'est long, c'est de l'écrit, c'est théorique, est-ce que ça vous intéresse ? je peux l'envoyer au besoin en format .pdf ... et vos retours sont bienvenus ici ou par mail (indiqué en bas du texte)

A

Amans Thu 12 Jun 2025 5:05PM

Notes sur la facilitation

restaurative, transformatrice, coopérative… des situations de conflit

Je partage ici quelques idées concernant la facilitation de « cercles restauratifs » qui peuvent s’appliquer à d’autres méthodes de justice transformatrice ou coopérative. Je ne confonds pas ces différents mots… et considère non seulement chaque processus défini, mais même chaque traversée nouvelle de tel processus, comme singulière, possiblement juste & possiblement criticable.

Il me semble qu’il y a cependant des communs dans les postures de facilitation « utiles et bonnes » à diverses approches, et c’est en m’appuyant sur mes expériences de cercles réels et semi-simulés ainsi que sur ces autres expériences d’intelligence collective et de transformation individuelle et sociale que je formule les points suivants à destination des facilitateur-ices, c’est-à-dire des personnes qui ont déjà une expérience de ce dont je parle. Certains points sembleront peut-être évidents, d’autres peut-être obscurs… volontiers en parler de vive voix dans ce second cas !

Souveraineté de la communauté

Ce qui est facilitant, je crois, c’est le fait d’offrir aux personnes qui viennent participer à un processus de justice la possibilité de l’accomplir par elles-mêmes. Dans un cercle restauratif idéalement, une bonne part des participant-es oublie plus ou moins qu’il y a des personnes pour assurer la facilitation, puisqu’iels intègrent au fur à & à mesure ce qui est restauratif dans le processus.

Dans mon expérience, un tel idéal est rarement atteint de façon très satisfaisante. Les faits à l’origine du cercle et / ou ce qui s’y manifeste sont toujours fortement chargés émotionnellement, au moins pour certain-es. Lorsque l’émotion nous traverse ou nous tient, le plus souvent nous ne sommes pas pareillement attentif-ves et respectueuses des processus, ni tout à fait au clair sur ce que nous disons ou pensons.

Cela n’est souvent même pas conscient : certaines émotions sont si inconfortables (en particulier le stress et autres couleurs de la peur), ou au contraire si admises socialement (l’enthousiasme ou l’euphorie par exemple mais aussi des intensités modérées de colère surtout pour les hommes, la mélancolie et d’autres formes de tristesse surtout pour les femmes…) que nous avons l’habitude de ne pas les reconnaître pour ce qu’elles sont – pourtant elles affectent en effet le jugement et le comportement.

Il arrive cependant aussi – très souvent pour le coup – que les participant-es « oublient » (ou négligent) la facilitation et se parlent « à batons rompus », sans plus respecter les processus de reformulation ni les questions qui gouvernent ce processus – et en tant que facilitateur-ices, nous sommes alors parfois perdu-es sur ce qu’il convient de faire. Car même avec la meilleure intention du monde de « respecter le script », il risque d’être difficile de reprendre toute la chaîne dialogique à l’envers pour demander à chacun-e « que l’as-tu entendu dire ? », surtout si chaque reformulation approximative déclenche de nouveau des réactions et des parenthèses.

Nous pouvons sans scrupule lâcher prise sur ces moments où les individu-es – voir tout le groupe transgresse le cadre auquel il avait consenti, d’autant plus volontiers que nous parvenons à tenir l’esprit de synthèse, ce regard englobant qui facilite la compréhension mutuelle pour les participant-es quand bien même la reformulation n’a pas été systématique ou pleinement satisfaisante (d’un point de vue « expert »). Quant à la prise de responsabilité, si elle n’a pas suffisamment lieu, les personnes qui sont venues là pour ça, consciemment ou non, se chargeront vraisemblablement de le rappeler.

C’est en tout cas la confiance que le processus offre aux communautés et aux personnes qui les composent : être reconnu-es comme sujets en présence, capables d’adresser par eux-mêmes leur situation collective de façon adéquate, et non pas identifiés aux rôles institutionnels ou aux fonctions psychosomatiques qui ont été tenues par le passé au sein du conflit.

C’est ce don, avant tout, que fait la facilitation : la confiance dans la possibilité d’une restauration, d’une transformation, d’une opération réalisée par la compréhension et la prise de responsabilité. Ce n’est jamais un retour à la situation antérieure au conflit, car tout processus laisse des traces, et ce n’est probablement pas non plus l’avènement d’une nouvelle situation « idéale » aux yeux de telle ou telle des forces en présence… mais quelque chose a lieu, d’intime et à la fois de collectif. Cela, nous pouvons en être sûr-es : c’est toujours le cas, même si ça n’a jamais les mêmes couleurs, encore moins aux yeux de chacun-e.

Facilitation confiante

Ainsi pareillement de la phase sur la mise en action : la facilitation peut prendre des notes, éventuellement organiser les idées exprimées en vrac en métaplan, voire même proposer des synthèses entre plusieurs directions conjointes ou les articuler entre elles – encore que ces dernières extensions ne soient pas dans le script… les groupes qui ont peu de temps disponible, la fatigue de fin du cercle peuvent encourager ce genre de coup de pouce. Et pour autant, son rôle de base est seulement de demander ce que le cercle veut faire avec ça.

Là aussi on fait confiance aux individu-es et à leur organisation collective pour ajuster le plan par la suite à partir du dialogue collectif et des élans de chacun-e. Ce qui semble vraiment utile et bon pour incarner les prises de conscience du jour, aura lieu. Ce qui n’était une bonne idée qu’à chaud sera sans doute abandonné. Idem de ce qui semblait bon seulement pour certain-es, surtout si ça ne l’était en fait pas du tout pour d’autres, ou si les personnes concerné-es ne s’engagent pas personnellement pour accomplir ou promouvoir leurs propositions.

L’après-cercle a justement pour intention de faire le point sur tout cela… et si d’autres processus dialogiques doivent être facilités par après, d’autres personnes ou les mêmes pourront toujours les initier nouvellement.

Ainsi on a l’habitude de considérer la facilitation des cercles et systèmes restauratifs comme « en retrait » par rapport à des modèles d’animation plus directifs, une médiation plus interactive. Point ici de « mains de fer dans des gants de velour » : nos mains sont simplement humaines et du coup … pas besoin de mettre de gants !

Poser simplement les questions de façon franche et claire, sans vérifier si c’est ok de les poser maintenant ou si c’est le bon moment de le faire, est facilitant.

Comme dans une main, avec cette merveilleuse vulnérabilité humaine et aussi cette possible – et non moins merveilleuse – force humaine, il me semble qu’il y a un équilibre « yin-yang » à adopter, pour la facilitation. Il s’agit d’être à la fois :

- bien ancré-es dans le yin, dans la présence silencieuse, la non-intervention & l’accueil inconditionnel de tout ce qui est exprimé – y compris les possibles dérives du processus. Nous ne participons en aucune façon, si possible, à cultiver quoi que ce soit de ce qui pousse, en général encore, dans le « jardin du conflit » : c’est le principe de la multipartialité (certain-es disent même « omnipartial », ce qui au niveau lexical me semble un peu totalitaire ou prétentieux, mais c’est la même idée).

Nous ne proposons, même, de reformulation que prudemment, et dans un cas de figure bien défini – la validation par l’émissaire d’une reformulation pourtant manifestement insatisfaisante du destinataire. Lorsque nous le faisons, avec le consentement a priori de la personne concernée, nous vérifions a posteriori – comme chacun-e des parties en présence – si ce que nous avons ajouté complète en effet correctement ce qui avait déjà été dit.

À noter que cette multipartialité n’implique pas quelconque égalitarisme : c’est ok, du point de vue de la facilitation, que certaines personnes s’expriment davantage que d’autres dans le cercle – c’est même une évidence en général, en fonction des implications dans les situations traitées et des rapports de chacun-e à la parole.

La préférence pour tel équilibre ou telle réciprocité serait volontaire, ou du moins une certaine vue de l’esprit (donc non-yin).

- … et pourtant yang avec finesse, dans la présence éveillée, la clarté d’esprit sur la co-création en cours & la confiance dans le cadre, y compris quand il part totalement en vrille.

La façon juste d’incarner cette qualité d’affirmation n’a rien à voir avec un rôle de sauveur, et n’est pas affectée non plus (« réactivation ») par les postures de victime ou de bourreau en présence. Elle nécessite un ajustement de la part des facilitateur-ices, pour chacun-e singulier et fonction du cercle.

En effet, à la fin de chaque unité dialogique, ou au cours de chaque dérive du processus, il est possible de se demander « comment poursuivre ? » ou « est-ce qu’il faut réajuster (et si oui comment) ? ». Les deux parties suivantes détaillent ces deux possibles besoins.

Qui parle ensuite ?

Après qu’un-e participant-e se soit exprimé, ait été reformulée, ait éventuellement complété & été reformulée encore après validation : il y a un choix à faire.

Un idéal possible est que ce soit le cercle lui-même qui fasse alors le choix de « qui prend la parole ensuite », ce que la facilitation peut induire explicitement en posant la question au centre « qui veut à présent faire savoir, et à qui, ce qui etc. ? » mais – là non plus – ce n’est pas le script exact, et c’est aussi un choix qui favorise les postures yang parmi les participant-es, puisqu’il autorise la personne la plus à l’aise à se manifester à ce moment-là de le faire – cf. aussi le point égalitarisme ci-dessus : la multipartialité n’a rien à voir avec une recherche d’égalité, de toute façon abstraite et relative.

La justice aussi est toujours relative d’ailleurs, mais son ressort est concret, selon nous, puisqu’elle s’appuie en l’occurrence sur les ressentis des personnes en présence, mesurables bien différemment des temps de parole ou des parts de marché. Une personne fortement impliquée dans le conflit et qui n’est pas là par exemple, ou une autre qui « explose » soudain après une prise de parole : voilà des mesures relativement lisibles.

Nous avons souvent vu ce qui me semble être un glissement s’opérer dans le processus : la personne qui vient de reformuler la dernière prise de parole, prend à son tour la parole.

En soi ce n’est pas un problème, mais au fil d’un cercle ça encourage les personnes qui ont envie de prendre la parole à « faire les reformulations » d’un propos qui ne leur est parfois pas principalement destiné, alors que dans le processus c’est plutôt la personne à qui s’adresse davantage l’expression (soit qu’elle est franchement regardée, soit qu’elle n’est même pas regardée en face du tout, mais mentionnée plus ou moins explicitement par les locuteur-ices) qui est « la mieux placée », d’un point de vue restauratif, pour reformuler. C’est aussi, souvent, celle qui a le plus de mal à le faire…

Ainsi à cet endroit, la tendance « spontanée » du groupe n’est pas toujours facilitante – même si parfois, surtout lorsque des expressions sont plus collectivement adressées, ça peut être préférable de la laisser se dérouler ainsi.

Cependant si c’est, comme de juste, la personne à qui une parole s’est adressée qui a reformulé l’expression en question1, et qu’elle occupe en effet une place opposée du point de vue systémique dans le conflit dont il est question, il peut être très bienvenu de lui passer la parole. Sauf… si elle avait déjà parlé juste avant ! Situation assez courante, dans les conflits interpersonnels.

Autres indicateurs possibles pour la facilitation de « à qui donner la parole ensuite » : observer la personne qui a « le plus besoin de parler » (besoin plutôt qu’envie, si possible), ou encore celle qui semble « le plus chargée », émotionnellement ou physiquement. Attention alors à nos propres biais perceptifs (liés ou non à des lignes d’oppression) et au fait basique que parfois des personnes très chargées ou très en besoin ont une grande habitude de ne pas le laisser du tout paraître. C’est globalement plus vrai des femmes que des hommes, des adultes que des enfants, des classes aisées (qui ont souvent plus d’expérience de la parole performative, sinon de la rhétorique) que des classes populaires… et parler dans sa langue maternelle est en général plus facile. Pour d’autres lignes d’oppression, c’est moins net.

Observons toujours notre multipartialité, aussi : sommes-nous plus à l’aise, malgré tous nos efforts de déconstruction du racisme, avec les blancs ? Sommes-nous plus réactivé-es, idem parfois subtilement, par les personnes de tel genre, de tels âges, etc. ?

Là encore, il n’y a pas d’injonction à être égalitaires, mais seulement aussi lucides que possible : si nous avons conscience des différents traitements que nous accordons psychiquement aux individuEs, nous pouvons chercher à équilibrer dans nos actes.

Quand ça part en vrille

L’autre sujet où le choix s’opère dans les processus de justice communautaire, et où il peut parfois être facilitant d’être yang, c’est sur « comment poser initialement le cadre, et éventuellement le rappeler ».

Dans les notes partagées par Dominic Barter aux facilitateur-ices, il y a un script détaillé pour l’ouverture des avant-cercles… mais pas pour celle des cercles. On peut rentrer de but en blanc dans la démarche… ou bien construire avec l’équipe de facilitation, éventuellement en s’inspirant de ce qui a déjà été proposé par d’autres, une introduction.

Rester au plus bref semble préférable du point de vue de l’ancrage yin, mais donner suffisamment d’infos tout de même est rassurant pour les participant-es et donc facilitant en particulier pour la première prise de parole, celle qui plonge toujous un peu dans l’inconnu (sauf expérience préalable des cercles évidemment, ce qui n’est pas encore très courant – et même avec ça, d’ailleurs).

Il y a aussi différentes situations de « sorties de cadre », qui déclinent plus ou moins la situation de dérive évoquée ci-dessus : dialogue (voire soliloques) sans reformulations. Parfois entre deux protagonistes en ping-pong, parfois une intervention tierce, ou encore un chaos plus général.

Si c’est ponctuel et qu’il y a encore quelques secondes d’espace entre les prises de parole, une façon de revenir au cadre est de profiter de cette brève place pour reposer aussitôt la question « qu’est-ce que tu l’as entendu dire ? » à la personne à qui s’adressait la dernière prise de parole, puis de revenir à l’unité logique précédente, en ajustant le script pour rester compréhensibles – type « et avant cette prise de parole, c’est toi qui parlais à X (se tourner vers X pour dire :) X, qu’est-ce que tu l’as entendu dire ? »2.

Une autre façon simple de procéder, lorsque les échanges semblent s’enrayer fortement, c’est de faire le geste « point technique », qui très communément appelle le silence, et proposer une petite pause – éventuellement en signalant qu’on est sorti-es du cadre proposé et que c’est ok, ou en tout cas que « c’est comme ça ». Après la pause, refaire ou non un point cadrant, en reclarifiant l’étape en cours, en rappelant les questions tranquillement etc.

Si ça part en sucette juste après une pause, par exemple dans la reprise du dialogue, on peut estimer bon de faire le-dit point sans attendre… mais la facilitation ne bénéficie pas alors de la chance d’un temps d’écoute et de recul entre soutiens.

Il n’y a pas de règle explicite qui interdise de couper la parole en cercle restauratif – et ça fait sens d’autoriser au maximum la spontanéité, d’être en mode dialogique ouvert. Certains groupes peuvent cependant demander une telle condition ou la poser d’emblée, auquel cas il peut être facilitant de soutenir le respect de cette règle.

Il est assez facile de couper qui coupe la parole d’un simple geste de la main, à condition que celui-ci soit effectué vivement, au tout début d’une prise de parole – et que le reste du cercle valide toujours la règle qui a été posée initialement, bien sûr.

Je ne détaille pas davantage ces points où le mythe restauratif de la facilitation qui n’aurait « rien d’autre à faire que de se tenir en retrait en respectant le script » est un peu bousculé peut-être : pour l’essentiel, ça reste cependant vrai. Si la facilitation n’est pas bien ancrée « dans le yin », alors ce n’est peut-être plus une pratique restaurative ? Mais c’est à la communauté, toujours, d’en décider.

Une situation particulière mérite d’être considérée ici : la facilitation de cercle semi-simulé.

Cercle semi-simulé

L’intention initiale de cette pratique est de s’entraîner à la facilitation de cercles restauratifs et d’éprouver les effets d’un tel processus dialogique, sur nous et les autres. Pour la personne qui facilite le cercle semi-simulé, comme pour les autres, il s’agit donc de « faciliter la facilitation », c’est-à-dire que c’est un processus formatif.

Cependant comme son nom l’indique, il n’est qu’à moitié simulé, c’est donc aussi un processus effectif, du moins pour la personne qui amène une situation personnelle, et dans les faits, souvent aussi pour les autres.

Ce qui est simulé, ce sont les voix des personnes qui participent au conflit amené par la personne qui a bien voulu partager sa situation. Le vécu de cette personne-là dans la situation proposée n’est évidemment pas une simulation – même si la rencontre entre une réalité vécue par ailleurs et une situation collective de fiction peut créer des perturbations et faire qu’on ne sache « plus très bien où on est ».

Lorsqu’on utilise le cercle semi-simulé pour une situation de conflit fortement impliquante (agressions sexuelles, violences armées, tensions psychologiques intenses et autres conflits mettant en danger l’intégrité psychophysique même des personnes concernées), il est possible qu’il soit difficile pour la personne la plus impactée de « croire » à la fiction d’une rencontre avec les protagonistes de son conflit, et a fortiori de se représenter ce que pourait générer un cercle collectif à ce sujet. L’exercice ne propose pas d’ailleurs de chercher à « se le représenter », mais plutôt de faire l’expérience de ce qui est éprouvé alors, aussi distinct que ce soit de ce que serait une réunion de toutes façons le plus souvent peu vraisemblable.

C’est aussi le cas des autres participant-es, qu’iels soient fortement touché-es par la situation ou non : chacun-e peut se questionner sur la « vraisemblance » de son interprétation ou la pertinence de ce qui est en train de se jouer… voire, la sécurité psychiques des personnes concernées. Ce dernier point peut amener à renforcer le cadre de l’exercice d’une façon qui semble adaptée aux participant-es et à leurs besoins (espaces-temps ou relations de soutien a posteriori prévues a priori, possibilité d’interrompre le process, etc.)

Si trop de questionnements cependant empêchent le processus d’avoir lieu, on peut se demander s’il n’y a pas un phénomène de dramatisation en jeu. L’approche restaurative nous invite à avoir confiance dans le fait que nous rapprocher du conflit le rend de moins en moins dangereux. Certaines théories et pratiques concernant la santé mentale ont aussi tendance à valider cette idée – à condition de s’en rapprocher en sécurité !

De la maladresse dans des zones si sensibles peut être dangereuse : les traumas sont des phénomènes complexes, il est facile de les renforcer en s’y prenant de travers. C’est vrai quelle que soit la personne, sa formation ou sa pratique professionnelle. Les volontés de prudence et d’attention risquent de ne pas être suffisantes, et les cadres de quelque structure (psy ou autre) que ce soit peuvent être inappropriés – si les situations élaborées reproduisent, au niveau institutionnel et symbolique, quelque chose en miroir (sur un autre plan) des violences à l’origine du trauma.

Cependant du fait de diverses expériences personnelles, pratiques collectives et témoignages, je crois possible de développer une qualité d’attention et un ajustement collectif des dispositifs qui permet d’adresser ce genre de cas où les « réactivations » sont intenses, vraiment en sécurité et pour le mieux. Ce dernier mot incluant bien sûr toutes les personnes concernées.

Il me semble qu’on peut aussi, pour ces situations chargées et délicates, imaginer un autre outil, qui vient modifier ce lien à la fiction et offrir d’autres moyens de sécuriser le processus émotionnel.

« Cercle semi-constellé »

Nous proposons ici à la réflexion et éventuellement à l’expérimentation un outil qui s’inspire du cercle semi-simulé mais emprunte davantage aux principes des constellations systèmiques.

Dans ce processus, les autres rôles au service de la personne qui amène le conflit :

- ne sont pas nécessairement des personnes physiques mais peuvent être des groupes, des forces en présence, des symboles…

- peuvent aussi être des personnes physiques dont la présence à un cercle ou la rencontre avec le / la protagoniste semblerait impossible – absurde ou inenvisageable, soit parce que les personnes concernées sont mortes, hors d’atteinte, disparues etc. soit parce que la rencontre « actuelle » n’est absolument pas faisable du point de vue d’une ou des deux parties.

Concernant cette dernière possibilité, les principes restauratifs nous invitent à vérifier si le temps, un chemin d’écoute profonde, des conditions très définies dans le cadre du dialogue élaboré … pourraient ou non changer quelque chose à cet absolu. Un tel « cercle semi-constellé » pourrait être une étape de cette « mise en condition » et de cette élaboration collective.

À noter que la simulation s’est beaucoup développée aussi dans le milieu médical, ces dernières années3.

Nous ne présenterons pas ici le détail du comment peut ou doit se faire l’expérimentation d’un tel « jeu-rituel ». S’y engager exige sans doute une connaissance approfondie (pour la facilitation) ou à défaut collective & ancrée des constellations – ou de telles démarches systémiques avec une dimansion plus ou moins thérapeutique, plus ou moins spirituelle.

On peut d’ailleurs tester différents agencements hybrides : cercle assis ou debout, marge de mobilité, phrases-types pour tels rôles, processus d’entrée et de sortie, types d’observation, remplacement du focus, etc. Il semble que pour amener la dimension collective d’un tel processus, commencer par des étapes de dialogue deux à deux (entre protagoniste « focus » et les différents êtres et forces convoqués alentours) puisse être facilitant.

Ce qui est sans doute le plus significatif dans cette innovation, c’est d’offrir un autre statut, purement symbolique, à la fiction : on est plus dans une situation qui a un lien direct au vraisemblable, un cercle restauratif qui « pourrait avoir lieu »… mais bien dans un espace psycho-affectif de restauration.

L’intention de « prendre soin de » – plutôt que de « guérir » ou « rétablir » peut-être, mais qu’en est-il de « faire justice à … » ? – la personne qui amène sa situation se fait évidemment plus nette, l’intention de training pour la facilitation devient seconde voire absente. L’effet systémique est renforcé : les autres participant-es y trouvent au moins autant d’échos avec leurs vécus.

Voilà pour mes réflexions de cette saison, concernant la facilitation de nos ouvrages avec « le conflit ».

Merci à toutes les personnes qui ont contribué de près ou de loin aux partages sensibles et intellectuels à l’origine de ces notes et émergences, tout particulièrement bien sûr au groupe de soutien, de recherche et de pratique en justice coopérative, Sonia, Dieudonné, Dominic et les communautés.

Je lirai avec intérêt vos éventuels retours, y compris les critiques sans propositions d’amélioration. Merci de ne partager tout ou partie de ce qui est écrit ici qu’avec attention et cohérence, mention de ma contribution et pour un usage non-commercial (CC-by-NC)

Amans

lapetitefamille@no-log.org www.lesuperflux.fr / www.murmuredesforets.fr

1Dans nos expériences de cercles restauratifs, il s’est passé assez souvent que la personne à qui nous demandions de reformuler s’est dite incapable de le faire, ou qu’une autre personne se propose spontanément. Il est arrivé aussi qu’une personne demande à venir avec des soutiens, qui n’étaient pas directement concerné-es par la situation initiale, mais impacté-es en seconde ligne, dans leur lien d’amitié ou de coopération, et qui venaient aussi avec l’idée de faciliter le processus de la personne en question, justement par exemple en reformulant « à sa place ». Nous avons été questionné-es chaque fois par ces situations, et avons essayé de répondre de la façon qui nous semblait la plus facilitante pour la communauté et le conflit spécifique qu’elle traversait.

2Nous employons le tutoiement puisque de fait, les personnes auprès de qui nous facilitons sont issues de milieux plus ou moins proches des « nôtres ». De base la facilitation restaurative est supposée être partie prenante de la communauté, même si dans les faits c’est encore rarement le cas. Vouvoyer serait peut-être une option intéressante dans certains cercles y compris « proches », pour marquer la distance et le processus… ? on a pas testé.

3Le documentaire Sauve qui peut d’Alexe Poukine vient utilement en contrepoint du fameux Je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry.

MBD

Mélanie Binet de Vauxclairs Thu 12 Jun 2025 5:16PM

Merci oui ce type de notes est très soutenant pour mes questionnements.Â
J'arrivais à une grosse phase de doute et des points abordés dans les notes me donnent plus confiance dans le processus avec des points d'attention sur la facilitation.Â

Â
Mélanie Binet de Vauxclairs

07 79 64 94 68
@les.relations.essentielles

Le jeu. 12 juin 2025, 19:06, Amans (via Framavox) a écrit :



A


Amans a commencé une discussion


Notes sur la facilitation ( https://framavox.org/d/A3jnXDkh/notes-sur-la-facilitation?utm_campaign=new_discussion&utm_medium=email )


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D

Dieudonné Fri 13 Jun 2025 9:32AM

Merci @Amans de ces retours d'expériences et réflexions.

Est-ce que tu as des retours d'expériences spécifiques à la partie coconstruction de système restauratif par des communautés ?

A

Amans Fri 13 Jun 2025 5:11PM

@Dieudonné euhhh pas sûr de bien comprendre la question : est-ce que j'en ai une expérience personnelle ? est-ce que j'ai entendu des retours de commus sur la création de leurs systèmes restauratifs ? est-ce que j'ai des textes sur le sujet que je peux partager ?

Aux deux premières questions la réponse est oui (plus grand oui pour la première que la seconde...) - et c'est presque un aussi gros travail que celui que je viens de fournir là que de développer 😄😐 ! vu qu'à la troisième la réponse est "pas vraiment même si y'a des choses qui pourraient s'apparenter à..."

D

Dieudonné Fri 13 Jun 2025 7:37PM

@Amans, oui c'est effectivement la question des retours d'expérience sur la création de système restauratif que se porte mon attention aujourd'hui.

Les questions autour de la facilitation continuent à m'intéresser bien-sûr, mais ce qui m'inspire le plus confiance maintenant, c'est d'aller à la rencontre d'exemples de coconstruction de systèmes restauratifs qui ont donné des fruits.

M

Michaël Wed 25 Jun 2025 10:47PM

Génial, merci beaucoup Amans pour tes partages !

Je retrouve beaucoup de similarités avec mes expériences de facilitation et mes réflexions, et ça me soutient de te lire. Je partagerai volontiers ton texte lors de mes prochaines sessions d'exploration de la facilitation !

Et il me semble aussi que tes questionnements sur la facilitation amènent vers la place du système restauratif et les choix effectués par la communauté (de qui facilite et comment).

Dans beaucoup de communautés que je soutiens, et même aussi dans mon collectif de vie, j'observe que les systèmes restauratifs consistent surtout à définir les pratiques et processsus connues et disponibles, qui peut les faciliter, comment y faire appel... mais pas toujours avec des détails. Et ces besoins apparaissent régulièrement pendant les étapes du cercle. Ce qui permet néanmoins de faire évoluer le système restauratif au fur et à mesure, au mieux.

Pour les nommer, ma communauté de vie : l'Aérium (aerium.coop). Des communautés dans lesquelles je suis intervenu : écovillage de Pourgues, Terr'Azïl, écohameau de Verfeil.

Au plaisir d'échanger davantage avec vous Amans et Dieudonné 🙏❤️