Suggestion de Discussions - Paroles de jeunes recruté·e·s
Bonjour, il pourrait y avoir une discussion spécifique pour les nouvelles et nouveaux recruté·e·s (que je ne suis pas). Ce sont elles, eux qui démissionnent et/ou qui se posent le plus de questions sur leur avenir au Cirad ! Si c'est une idée retenue, à vous la parole !!!!
Jean-Baptiste Durand Tue 18 Oct 2022 12:31PM
Bonjour,
je viens d'être recruté ce mois-ci comme chercheur en octobre mais ne suis pas jeune (46 ans !) et ai une expérience de 18 ans comme maître de conférences (MCF). Je garde en gros le même salaire au Cirad, et il me convient. À l'université c'est très bouché pour passer professeur (PR), je pense que je n'aurais jamais réussi le concours, mais ce n'est pas du tout la raison qui m'amène au Cirad. Par ailleurs ce n'est pas trop dans la culture des MCF / PR de mon labo de faire grève pour la revalorisation de leur salaire personnel (c'est ressenti comme ayant peu d'effet), plus souvent par contre pour défendre les conditions de travail et le salaire des jeunes.
J'ai quelques questions (dues notamment à ma méconnaissance du contexte autre qu'universitaire !) par rapport au mouvement en cours et aux revendications :
Pourquoi demander +60 points pour tout le monde ? Je peux me mobiliser (grève / pétition) pour les personnels qui ont du mal à vivre avec leur salaire, mais justement par rapport à ces personnes ça ne me paraît pas décent ni souhaitable de demander une augmentation pour moi-même. Pourquoi pas une hausse d'autant plus forte que le nombre de points actuels est bas ?
Plusieurs professions se mobilisent pour des hausses de salaires. Des théories économiques (et le bon sens ?) prédisent qu'en l'absence de gain de productivité cela peut entraîner de l'inflation
https://www.latribune.fr/economie/france/augmenter-les-salaires-en-periode-d-inflation-une-equation-insoluble-923247.html bien que cela soit contredit par l'analyse de données économiques historiques (avec des limites dans la portée temporelle et dans les indices choisis) avec recherche de causalités https://www.jstor.org/stable/2006652 https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1025464. Pensez-vous que dans le contexte actuel, demander des augmentations revient à espérer être augmenté "plus / plus vite que les autres" ? Autrement dit se peut-il que si tous les salaires croissent de la même manière, personne ne gagne en pouvoir d'achat ? Que consciemment ou non se jouent des luttes de corporations ?Est-ce que demander une réduction du temps de travail est une forme de gain plus acceptable / facile à obtenir ? Quelques arguments : avec plus de temps, nous pouvons réparer nos biens, fabriquer par nous-mêmes, nous déplacer moins vite et à moindre coût, aider les personnes autour de nous et réduire ainsi des coûts sociaux indirects... et c'est bon pour la planète !
Merci pour vos retours !
JB
Aude Valade Tue 18 Oct 2022 2:22PM
Salut Jean-Baptiste, tu soulèves des points très intéressants. Je peux partager ma vision et pourquoi je soutiens les revendications discutées ici.
Je suis entrée il y a 2 ans au Cirad après 7 ans de post-doc+congés mat'. En entrant au Cirad j'ai perdu environ 600€ net de salaire mensuel ce qui "piquait un peu" mais me convenait car je l'acceptais comme le coût de la stabilité et je me disais que ce salaire me permet de vivre en fonction de mes besoins. D'ailleurs je me suis mise un an à 80% pour mieux concilier vie pro/vie perso.
sur le niveau de salaire, aujourd'hui ça pique un peu plus, et je pense pour deux raisons. Pour utiliser un autre terme que le "pouvoir d'achat", la première raison est le coût de la vie à Montpellier, à commencer par le prix de l'immobilier, qui est difficilement conciliable avec nos niveaux de salaire, et d'autant plus pour les collègues qui sont dans les catégories plus basses. La deuxième c'est l'évolution. Après 2 ans, le changement d'échelon me donne comme avancement automatique une augmentation de 25€ sur mon salaire de base. Alors oui c'est lié à mon positionnement intermédiaire sur la grille, n'empêche ça fait doucement sourire (jaune).
sur ton point n°1 : l'augmentation de 2,28% proposée par la direction est très injuste car elle donne plus d'augmentation aux gros salaires et augmente encore les inégalités. C'est là tout l'intérêt de la revendication pour une augmentation de 60points pour toutes et tous puisqu'elle correspond à une augmentation en pourcentage de salaire plus importante pour les bas salaires. 381 €brut pour quelqu'un en catégorie V avec un salaire de 2200€ brut ça fait 17%, pour un catégorie VIII à 4700€ brut ça fait 8%.
Sur ton point n°2 : la courbe publiée par Thomas B. sur le forum "Quelle est la structure de notre rémunération" montre que l'inflation n'a pas attendu les augmentations de salaire pour s'inviter. Sans être dans une compétition corporatiste, l'écart qui se creuse entre le coût de la vie et les revenus peut créer un sentiment de déclassement entre les générations et tu as raison au sein de la société aussi. En revanche j'ai l'impression qu'il ne s'agit pas d'être augmenté plus que les autres secteurs. La mobilisation un peu partout montre bien que le problème est macro-économique même si chacun porte ses propres revendications avec son interlocuteur. Ce qui est sûr ces que si on ne se mobilise pas, que les autres soient augmentés ou pas, ça ne bougera pas.
sur ton point n°3: je suis d'accord sur le papier, et j'ai même tenté de diminuer mon temps de travail en prenant un 80% . Mais après un an je repasse à 100% car je n'ai pas réussi à diminuer ma charge de travail. Les objectifs en interne de soumettre des projets, faire de la recherche, faire des expertises, faire de la formation, animer le collectif, et les collaborations en externe avec des gens qui sont sur ce même rythme de fast-science, rendent difficilement vivable un ralentissement individuel.
Thomas Balenghien Wed 19 Oct 2022 6:09PM
Très intéressantes tes questions Jean-Baptiste. On pourrait ouvrir des fils de discussion sur chacune d'elles.
Effectivement, la grande différence entre l'université et le Cirad, c'est que la question des salaires à l'université est réglée par la loi (associée à des structures de dialogue entre ministère et organisations syndicales), alors qu'elle est du ressort de la négociation d'entreprise au Cirad, avec la contradiction mode privé/établissement public décrite dans "comment se passe la négociation au Cirad".
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Sur le premier point. Le constat qui s'impose, à mon avis, c'est que notre grille est malade. La cause est simple : l'évolution du point a été complètement déconnectée de l'inflation. Conséquences : des collègues touchent des primes pour que leur salaire atteigne le Smic, d'autres passent toute leur carrière à quelques epsilons du Smic, et aujourd'hui le Cirad a du mal à recruter et est confronté à des vagues de démissions. Il est clair que la direction et les tutelles préparent une évolution des salaires au Cirad. Mais, de ce que l'on en perçoit, le chemin envisagé est plus l'instauration de primes pour certain.e.s (car persiste cette idée éculée qu'au Cirad, certain.e.s font alors que d'autres suivent) qu’une juste revalorisation pour la majorité. Pour sauver la grille, et le changement automatique d'échelon (qui est le principal facteur de progression salariale pour la majorité - avec les limites soulignées par Aude), il faut augmenter le point. Mais, comme le rappelle Aude, toute augmentation de la valeur du point, provoque une augmentation en valeur d'autant plus importante que le salaire est important. "60 points pour toutes et tous" permet de donner de l'air à la grille (cela permet de placer tous les échelons de la catégorie 3 et 4 au-dessus du Smic), et d'envisager dans un second temps une progression du point. Augmenter uniquement les bas-salaires permet de répondre à l'urgence sociale, mais ne répond que partiellement aux problèmes. Cela revient aussi à tasser la grille. Or cette dernière reste bâtie sur le principe d'un salaire proportionnel à la qualification, selon la hiérarchie ouvrier (qui a disparu de notre grille), agent de maîtrise, cadre. Je suis d’accord que cette norme peut être effectivement questionnée. On peut imaginer un salaire proportionnel à la valeur produite, et dans ce cas, personnellement, je ne saurai justifier pourquoi un.e assistant.e ou un.e technicien.ne produit moins de valeur (et donc touche un salaire moindre) qu'un.e chercheur.se. On pourrait donc imaginer un système salarial à 4 niveaux (4 catégories) avec une progression à l'ancienneté à l'intérieur de chaque niveau, et un passage au niveau supérieur par gain de qualification, dont l'échelle serait à définir, mais indépendante du métier. On peut mettre en discussion cet aspect. Est-ce que cela recueillera un opinion favorable majoritaire ? je ne sais pas. En tout cas ce sera orthogonal à la vision défendue par la direction ou les tutelles.
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Sur le second point. Premier constat que je fais, c’est que la vague d'inflation actuelle n'est pas en lien avec une augmentation des salaires. Le processus de stagnation des salaires observé depuis 30 ans revient à une diminution de la part des salaires dans la richesse, au profit de celle des profits (même si cela fait l'objet bien sûr de débats : https://www.cairn.info/revue-de-l-ofce-2007-1-page-235.htm). Un autre chiffre qui me frappe : en 2022, pour les 38 sociétés du CAC40 ayant publié leurs résultats semestriels, les bénéfices du 1er semestre s'élèvent à 73 milliards d'euros (26 % de plus qu'en 2021). En revanche, effectivement, des augmentations de salaires peuvent se faire rapidement grignotées par l'inflation. Personnellement, je soutiens la réintroduction de l'échelle mobile des salaires. On pourrait indexer la valeur du point sur l'inflation. Cette revendication ne peut s'imposer qu'à une échelle nationale, avec un rapport de force conséquent - c'est bien le sens des journées de mobilisation interprofessionnelles. Cela n'est donc pas nécessairement corporatiste - même si, les négociations salariales étant organisées par entreprise, il est difficile d'éviter une image corporatiste. Cette échelle mobile des salaires peut régler le problème dans le public, l'Etat décidant de ses revenus par l'impôt, dans les grands groupes générant des profits, cela est moins évident dans les petites entreprises, même si bon nombre sont des rouages plus ou moins éloignés des grands groupes. Pour embarquer tout le monde, il faudrait repenser notre organisation économique, ce qui rejoint le point 3.
Sur le troisième point, autant je pense qu'il est aujourd'hui nécessaire de produire moins (ce qui est plus efficace que d'essayer de consommer moins), autant je n'associe pas bas salaire avec décroissance salutaire. Atteindre un certain niveau salarial permet aussi d'être plus libre de ses choix (choisir une alimentation de qualité, de proximité et biologique ; avoir le choix de vivre proche de son travail et de sa mobilité ; de pouvoir isoler son logement, voire de l'équiper en autosuffisance). Réduire le temps de travail oui, complètement d’accord, mais avec certitude d'embauche. C'était le sens du premier projet Aubry : les 35 h avec obligation d'embauches pour compenser la diminution du temps de travail. Seule la première partie du projet a finalement était appliquée, avec donc une augmentation de la charge de travail (ce qui rejoint le constat d’Aude). On est donc dans un système où une bonne partie n'a pas accès au travail, et l'autre partie travaille dans des conditions de plus en plus dégradée. Si on fait un calcul simple : on divise le nombre d'heures travaillées à l'échelle nationale par la population active, on obtient 32h par semaine, ce à quoi on pourrait tendre. Mais il faut pour ça, répartir autrement la richesse, et donc modifier profondément le système socio-économique. D'ailleurs ce système montre bien son incapacité à répondre au défi climatique qui devient dramatiquement plus grand chaque jour qui passe. On en revient à la nécessité de produire moins, de produire mieux, donc de décider collectivement ce qui est utile de produire et ce qui ne l'est pas, et sortir d'un système qui ne fonctionne qu'avec une constante augmentation de la croissance, dans un monde fini. Sur la façon dont on pourrait organiser différemment un système socio-économique, ce que je trouve le plus convaincant est ce que propose Bernard Friot (https://journals.openedition.org/nrt/680). Là encore, il faut réussir à atteindre un rapport de force qu’on n’a pas vu de 1968, pour rendre cela possible.
A mon avis, militer pour des augmentations de salaire (et donc contester la répartition de la richesse), militer pour une réduction du temps de travail, et militer pour une réponse à la hauteur du défi climatique ne sont pas à opposer mais participent à un même dessein.
Jean-Baptiste Durand Fri 21 Oct 2022 12:01PM
Merci pour vos réponses et vos témoignages.
Me voici rassuré sur le caractère équitable de la demande +60 points.
Et dans ces discussions, les enjeux qui ressortent sont finalement proches de ceux qui sont mis en avant dans les thématiques de recherche du Cirad :
https://www.cirad.fr/nos-activites-notre-impact/thematiques-de-recherche/changement-climatique/enjeux-et-problematiques
(ne pas creuser les inégalités, apporter des réponses intégrées et durables, diminuer les impacts environnementaux)
J'espère que nous pourrons faire valoir qu'en priorisant ces thématiques, le Cirad se retrouverait en situation de contradiction à ne pas favoriser leur développement et leur application auprès de ses propres agents.
Nicolas · Sat 15 Oct 2022 2:20PM
👍