Pascal V Mon 25 May 2020 1:27PM
Les Instances Représentatives du Personnels (IRP) ont vu la fin des CHSCT (Comité d'Hygiène de Sécurité et des conditions de Travail) qui avaient de vrais pouvoirs de contribution à la santé physique et mentale des salarié-es - comme l'a d'ailleurs révélé le procès de France Télécom. C'est parce que ce contrôle social porte sur des questions de santé publique que "l'obligation de sécurité" de l'employeur est la contrepartie du "droit d'entreprendre".
Or, ce bien commun tend, depuis les lois El Khomri-Macron, à être dilué dans les consultations économiques des IRP : avec la mise en place du CSE (Comité Social et Économique) et de sa coquille vide juridique qu'est la CSSCT (Commission Santé Sécurité et Conditions de Travail) censée remplacer le CHSCT, la mécanique du "contrôle social" interne à la liberté d'entreprendre est gravement atteinte.
Cela dit, malgré les lois El Khomri et les ordonnances Macron, l'obligation de consultation des salarié-es et de résultat de l’employeur en matière de santé et de sécurité continue de relever de l'ordre public. Elle est garantie par le droit constitutionnel et européen :
"Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail (...)" (art. 8 du préambule de la constitution de1946).
"L'amélioration de la sécurité, de l'hygiène et de la santé des travailleurs représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations économiques." (préambule de la directive-cadre européenne du 12 juin 1989).
Ce socle juridique supra-national est actuellement dans le collimateur du patronat (voir PJ). Les tenants de la révolution conservatrice en cours ont bien entendu intérêt à tout mettre en œuvre, et à tout tenter, pour éradiquer le moindre frein à la logique de profit capitaliste - lois El Khomri-Macron constituent désormais un marche-pied solide à ce type d'initiative décomplexée.
La santé au travail s'appuie donc sur des institutions mal connues et techniques. Pour autant, ces institutions sont l'enjeu de luttes entre patronat et syndicat, mais aussi à l'intérieur même du champ syndical, qui n'est pas sans intérêt pour notre collectif. On y retrouve de manière microsociologique (au sein des entreprises privées et publiques) les débats et enjeux de société qui nous animent entre bien commun et intérêts du capital, enjeux collectifs et jouissance privée.
Cela me semble être un terrain non négligeable de réflexions conçues en termes de savoir-agir...
Thomas Souchet Sat 30 May 2020 7:53AM
Je crois qu'un des principaux problèmes liés à l'emploi c'est le temps que nous, salariés, passons dans des organisations sociales non-démocratiques et s'apparentant plutôt à des monarchies féodales.
Ce temps nous façonne. Nous l'investissons pour tenter de conserver notre emploi, source de revenu alors, à la longue, il nous transforme selon des schémas qui ne nous appartiennent pas puisque les décisions dans l'entreprise privée standard sont prises par d'autres.
Ainsi, nous intégrons progressivement une sorte d'impuissance à participer à la prise décision sur des sujets pourtant primordiaux comme la sécurité physique et morale au travail, les finalités du travail, les moyens de production et même le temps que nous consacrons à cette activité en lieu et place du temps que nous pourrions passer avec nos proches ou à participer à d'autres activités.
Ce temps peut représenter le gros de notre journée jusqu'à 6 jours par semaine. On peut imaginer une journée de 7h de travail + 1h de pause déjeuner + 2h de transport aller/retour et on arrive à 10h par jour à peu près monopolisées par l'emploi.
Je travaille pour l'industrie et mon regard est biaisé par le prisme de mon expérience professionnelle. Néanmoins, je constate que les entreprises privés non-coopératives (ainsi que certaines coopératives) sont organisées en hiérarchies dirigées par un chef dont le mandat est permanent pour peu qu'il "possède" l'entreprise, qui décide de manière autocratique et qui nomme des sous-dirigeants comme relais de son pouvoir tout au long de la chaîne de contrôle.
Je crois que le problème principal ici vient de la dualité entre la prise de décision concernant le travail et la réalisation du travail. Le salarié-exécutant perd la maîtrise de son métier et doit se comporter selon des logiques extérieures à lui-même d'où une tendance à l'intériorisation progressive de l'impuissance que la personne doit combattre, ce qui demande donc un effort quotidien à la hauteur du temps que nous passons en situation d'emploi.
Je pense donc qu'il faut favoriser les organisations coopératives du travail au sein desquelles le citoyen-travailleur doit être autonome et participant.
eldino Sat 30 May 2020 9:49AM
Il y a aussi la dimension de prise de distance.
Quand on travaille, on est un peu comme dans une machine à laver, on arrive pas à se positionner vis à vis de ce travail.
Pourquoi je travaille? est-ce que j'ai la possibilité de réduire mon temps de travail? quels sont mes besoins...
Comment peut-on imaginer passer le plus clair de son temps dans un travail?
Le fait que la scolarité nous prépare en terme de temps, de pressions, de hiérarchie à accepter le monde du travail n'est pas une spirale sans fin. Il est sidérant de voir des étudiants, lycéens... avoir des dépenses de près de 300 euros par mois en étant chez leurs parents. Ils commencent la vie en ayant une boulet de 300 euros au pied en téléphonie, loisirs...
Le travail unique comme source de revenu est quand on y pense, une aberration. C'est un peu comme si un paysan décidait de ne faire que du blé au risque d'être ruinée par une mauvaise récolte. En fait je pense qu'une solution est de multiplier ses sources de revenus, on est moins dépendant, on peut plus facilement en changer voir arrêter une activité aliénante ou destructive.
Une aire de questionnement, de pause, de partage peut nous éloigner de cette spirale. Jacques Ellul a su montrer cette aliénation. Il n'a pas apporter de solution mais interroge. C'est par cette interrogation que l'on peut prendre du recul. L'échange et le partage au seins des associations (de rencontre, d'entraide ....), de mouvement (gilets jaunes, syndicats...) ... permettent un peu cette interrogation par la rencontre de personnes différentes et ayant des façons de vivre différentes. Comment ne pas s'interroger sur son travail, ce qu'il nous apporte quand un collègue, une personne de la même corporation... met fin à ses jours?
Le Covid a permis, je pense, à plusieurs personnes de vivre cette pause forcée. Le télé travail a été plus qu'utilisé et usé. Il est présenté comme la panacée mais il éloigne un peu plus des vrais questions.
Comment partager le travail? Qu'est-ce qu'il m'apporte? Puis-je réduire ma dépendance vis à vis de ce seul revenu? Quels sont mes vrais besoin?
Donc " Arrêtons-nous pour avancer" ;-)
Molécule Sat 6 Jun 2020 9:05PM
@eldino : salut,
j'ai l'impression que tu confonds classiquement "travail" et "emploi". Je crois que c'est une erreur que nous payons assez cher dans les luttes parce qu'elle ne nous permet pas d'articuler nos réflexions. Il y a d'un côté ceux et celles qui demandent plus d'emploi, donc plus de travail, mais avec en ligne de mire un plus de salaire collectif. De l'autre côté celles et ceux qui disent refuser le travail alors que ce qu'ielles refusent, c'est le caractère aliéné de l'emploi. Parce qu'il y a bien des tâches à effectuer pour qu'on puisse vivre, et ces tâches, ce sont bien ce qu'on appelle un travail. Le paysan travaille la terre, le sculpteur travaille le bois, etc.
L'emploi, c'est le mode capitaliste du travail. Un emploi = l'octroi d'un salaire + l'assignation à un poste de travail, le tout dans une situation de subordination à un "employeur". Note que c'est toujours mieux que le "louage d'ouvrage" du xix° siècle, où l'ouvrier vendait formellement son travail, et s'en trouvait incvapable de négocier ce qu'il vendait effectivement : sa force de travail - comme les UberEats et Deliveroo aujourd'hui. Mais c'est aussi vrai qu'on en est aujourd'hui à un point où le salaire personnel doit être déconnecté de l'occupation d'un emploi. Salaire à vie ou généralisation du salaire à la qualification.
Et je suis sûr que certain.e.s rajouteraient bien ici : "revenu de base" ou "revenu universel". Et là dessus, il va falloir avoir une longue et passionnante discussion. En attendant, pour se clarifier les idées sur le sens du mot travail, l'article d'un linguiste : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02314417/document
eldino Sun 7 Jun 2020 7:42AM
Merci Molécule pour la remise à plat. J'utilise le terme couramment utilisé. Je suis d'accord avec toi sur ta définition et la différence entre les deux.
Il n'empêche mes questions reste d'actualité sur le fond.
Comment partager le travail? Qu'est-ce qu'il m'apporte? Puis-je réduire ma dépendance vis à vis de ce seul revenu? Quels sont mes vrais besoin?
Pascal V Sun 7 Jun 2020 8:47AM
Bien d'accord avec vous, Molécule. Le lieu commun rabâché, mi-savant et un peu radical-chic, faisant référence à la prétendue (et discutable) origine latine du mot travail, tripalium, fait en réalité le jeu du capitalisme : en laissant entendre que la souffrance serait "naturellement" constitutive de tout travail, elle occulte les luttes sur les conditions de travail par lesquelles il faut commencer pour pouvoir parler d'un travail utile à la société, non aliéné à la logique du profit.
(D'ailleurs, historiquement, ce n'est pas un hasard si les luttes sociales contre le capitalisme ont porté dès l'origine sur la question des conditions de travail. Car il ne peut y avoir de travail utile au plus grand nombre, non toxique, quand ses conditions d'effectuation sont déterminées par le profit économique... ou autres, comme le prestige aristocratique, par exemple).
D'où mon appel un peu plus haut à former (peut-être) un groupe de réflexion et d'action où les aspirations à la liberté de choisir le type de travail ou d'emploi (que je partage avec eldino, mais trop abstraites), se conjuguent concrètement avec une appropriation des institutions du monde du travail et de leur devenir.
Il s'agit, selon moi, de re-politiser les routines de la "négociation" dans lesquelles les syndicalistes s'enferrent trop souvent. Pensons, à ce propos, au terme novlangue de "partenaires sociaux". En le martelant sur toutes les ondes, le "Parti de la presse et de l'argent" ne s'y trompe pas : il tente ainsi de dépolitiser par avance les institutions censées servir ses intérêts...
Sophie Sainte-Marie Sun 7 Jun 2020 3:15PM
Revenu social garanti, revenu minimum, etc : https://www.multitudes.net/Treve-de-confusion/
Molécule Mon 8 Jun 2020 12:04PM
Bonjour tout le monde,
@ eldino : ok. Mais en fait, je ne faisais pas la distinction travail/emploi juste par souci de précision. C'était surtout pour essayer de dire que je ne vois pas comment il pourrait exister un revenu sans travail.
Si je suis salarié.e, mes revenus sont la contrepartie de mon travail, que je sois employé.e ou fonctionnaire (et même si les deux statuts ne sont pas équivalentes et qu'on bosse plus, mieux et un peu moins tristement quand on est fonctionnaire).
Si je suis travailleur.euse indépendant.e, mes revenus proviennent de la vente de mon travail dans le meilleur des cas - et dans le pire (Deliberoo, Uber), je vends ma force de travail sans la sécurité du contrat de travail.
Si je suis capitaliste, mes revenus proviennent évidemment du travail de mes subordonné.e.s.
Si je suis retraité.e (ça me tarde), mes revenus proviennent du travail que j'effectue librement - et c'était aussi le cas pour les chômeurs/chômeuses entre 1958 et les années '80, avant l'introduction de l'Allocation Unique Dégressive, quand on avait le chômage à vie.
Je ne vois pas d'autre moyen d'avoir des revenus que le travail. Individuellement, on peut toujours essayer de ruser et de s'en sortir en faisant bosser les autres : patrons, Française des Jeux, etc., mais ce sont des jeux où il y a beaucoup d'appelé.e.s et peu d'élu.e.s. Je ne vois pas de solution qui ne soit pas collective et qui ne repose pas sur la réappropriation de l'outil de production. Donc, en plein accord avec Pascal.
Sophie Sainte-Marie · Sat 23 May 2020 4:39PM
Avec la loi El Khomri, il y a eu un premier inversement de la hiérarchie des normes, c'est à dire que l'accord d'entreprise est devenu au-dessus de la loi, même s'il n'était pas au bénéfice du salarié. Là, on voit bien que ça va être de pire en pire, y compris en ce qui concerne la loi pénale qui oblige normalement les employeur à une obligation de résultat en ce qui concerne la santé de leurs employés.
L'idée d'une "augmentation du pouvoir d'achat", sans plus de précision, a elle aussi été dévastatrice. On ne parle plus de cotisations sociales, mais de charges, on a oublié de dire que ces cotisations étaient nos cotisation pour un régime solidaire de sécurité sociale (maladie, accident du travail, allocations familiales, retraites).
Bref, la destruction du système paritaire, promesse de campagne du candidat Macron, est en marche... (Formation comprise).
Il est nécessaire de repenser les conditions de travail, d'affirmer les droits des travailleurs, d'augmenter le SMIC. La Nouvelle-Zélande, pour augmenter le tourisme, souhaite passer à des semaines de travail de 4 jours.
Par ailleurs, en France, beaucoup de gens travaillent gratuitement, ce sont les bénévoles. Sans lien de subordination, c'est vrai, mais il y a une vraie économie parallèle dans ce pays. Or, ces heures de bénévolat pourraient, par exemple, être dé-fiscalisées.
On pourrait aussi, comme pour les syndicalistes, envisager des décharges d'activité, y compris et surtout pour tout ce qui concerne la Démocratie participative "obligatoire", puisqu'il y a une obligation légale de faire exister des conseils de quartiers et des conseils citoyens.