Cyril Dion : « Ecrivons un autre avenir pour la planète » (partagé par Micaël)
Article ci-dessous pour ceux qui ne sont pas abonnés au Monde. https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/10/cyril-dion-ecrivons-un-autre-avenir-pour-la-planete_5395139_3232.html
Cyril Dion : « Ecrivons un autre avenir pour la planète »
#UrgenceClimat. Le désastre écologique annoncé se réalisera si nous ne changeons pas la façon dont fonctionne le monde, les idées/fictions qui le gouvernent. Contre ce sombre constat, inventons un nouveau récit qui donne priorité au sens sur les profits, propose l’écrivain et réalisateur Cyril Dion.
Est-il trop tard ? La question mérite d’être posée, et de plus en plus. Les dernières études sur l’évolution du changement climatique et l’effondrement de la biodiversité montrent une phénoménale accélération. Quelque 60 % des populations d’animaux vertébrés ont disparu ces quarante dernières années, 80 % des insectes volants en Europe, 30 % des oiseaux. La dernière fois qu’autant d’espèces ont été éradiquées aussi vite, c’était il y a des millions d’années, à l’époque de l’extinction des dinosaures. Sur le front du réchauffement, cela ne va pas mieux. Nous sommes déjà à + 1,2 °C. L’objectif de + 1,5 °C que l’accord de Paris appelait à ne pas dépasser avant 2100 le sera certainement aux alentours de 2030. Nous voguons allègrement vers 2 °C en 2040-2045.
Si nous dépassons les + 2 °C, nous enclencherons des boucles de rétroaction négatives (libération du méthane prisonnier des sols gelés d’Arctique et de Sibérie, incendies dégageant des masses de carbone, acidification des océans qui ne pourront plus stocker le CO2) qui nous conduiront allègrement vers + 3 °C à + 5 °C. A + 5 °C, une bonne partie du globe deviendra inhabitable. A tel point que le directeur de l’Institut de recherche sur le climat de Potsdam a estimé en 2009 qu’à cette température seul un milliard de personnes pourront vivre sur Terre. + 4 °C en 2100, c’est ce que prévoit le ministère des transports américain ; + 5 °C, c’est ce que prévoit le scénario interne des pétroliers BP et Shell, mais… en 2050 !
Que faire face au désastre annoncé ? Il n’y a pas de réponse simple à cette question. La situation face à laquelle nous nous trouvons est inédite. Elle ne demande pas des ajustements, mais une métamorphose (selon les termes du sociologue Edgar Morin). Ou comme le disent les initiateurs britanniques du mouvement Extinction Rebellion [qui dénonce l’inaction des gouvernements] : « Nous ne pouvons pas sauver le monde en respectant les règles du jeu, car les règles doivent changer. »
Les règles du jeu, ce sont celles du libre-échange qui interdisent toute mesure protégeant l’agriculture bio et locale de la concurrence internationale faite de produits dopés aux OGM et arrosés de pesticides au nom de la concurrence libre et non faussée.
Ce sont celles de l’économie de marché, capitaliste, qui mettent la notion de profit et de rentabilité au-dessus de toute autre. Celles qui guident aujourd’hui nos choix personnels, ceux des entreprises et des Etats. Celles qui nous imposent une croissance matérielle infinie dans un monde fini.
Devons-nous attendre qu’il soit rentable de ne pas couper les forêts pour laisser les arbres debout et préserver l’habitat des espèces sauvages ? Qu’il soit rentable de laisser les insectes exister pour ne pas les éliminer à coups de pesticides ? Cela n’arrivera peut-être jamais.
Admettons-le, ce n’est pas rentable, à court terme, pour ceux qui possèdent l’essentiel des capitaux, des moyens de production, des médias, des compagnies pétrolières, des entreprises multinationales (pour ceux qui possèdent le pouvoir économique et financier en somme), de stabiliser le climat et d’arrêter le massacre des mammifères, insectes, cétacés et oiseaux.
Non seulement ce n’est pas rentable, mais cela demande de remettre en question nos modes de vie occidentaux, notre consommation, une part non négligeable de notre confort et de nos fonctionnements. Pour les plus riches, cela implique de renoncer à des acquis, des privilèges, du confort (l’avion et la voiture individuelle quand on veut, la viande quand on veut, acheter quand et ce qu’on veut, se chauffer à 21 oC…). Or personne n’en a réellement envie. Pour les plus pauvres, étranglés par le coût de la vie, la pression du quotidien, la contrainte écologique est perçue comme une préoccupation de riche ou comme une contrainte supplémentaire inenvisageable. D’où le slogan des « gilets jaunes » : « Les élites parlent de la fin du monde, nous, on parle de la fin du mois. » Sans parler des bien plus pauvres encore, qui subissent de plein fouet les conséquences de la guerre économique et du changement climatique.
Par conséquent, ce n’est pas non plus dans l’intérêt des responsables politiques au pouvoir de s’engager dans ces voies de transformation radicale. Comme le disait le scientifique américain Dennis Meadows, l’auteur du fameux rapport paru sur les limites de la croissance en 1972, tout programme politique qui se baserait sur la décroissance est « un suicide politique ». De son côté, le philosophe Bertrand Méheust affirmait dans son excellent livre La Politique de l’oxymore (La Découverte, 2014) : « Aucun système démocratique ne semble pouvoir fonctionner aujourd’hui en dessous d’une certaine pression de confort. » En d’autres termes, il paraît inacceptable pour tout régime « démocratique » de proposer à sa population un horizon remettant en question « les acquis de la modernité ». Trop de sacrifices, trop de bouleversements à court terme, pour des gains à moyen ou long terme. Or le temps politique et économique est un temps court. L’appétit consumériste aussi. Voilà sans doute pourquoi, depuis l’accord de Paris, signé par 195 pays, seuls 16 ont engagé quelques mesures.
Mais alors comment changer ces fameuses règles du jeu ? D’abord en reconnaissant qu’elles sont des conventions, des accords tacites entre humains, que nous les avons créées de toutes pièces. Comme le dirait l’historien israélien Yuval Harari, ce sont des fictions. Elles n’existent que parce que nous leur donnons de la valeur. Aucune loi physique, biologique ou biochimique ne dit que le profit financier est la clé de voûte de la vie sur Terre. « Tant que tout le monde croit à la même histoire, à la même fiction, tout le monde obéit aux mêmes règles, aux mêmes normes, aux mêmes valeurs », explique Harari. Et c’est ce qui donne la capacité à des millions de personnes de coopérer de façon flexible pour élaborer des civilisations, bâtir des cathédrales, aller sur la Lune, etc.
Tant que la majorité des Français et des Européens croyaient que leurs rois tenaient leur pouvoir de Dieu et qu’à ce titre ils pouvaient disposer du droit de vie ou de mort sur leurs sujets, ils obéissaient aux règles, aux normes, aux valeurs imposées (y compris par la force) par cette fiction. Lorsqu’elle commença à se fissurer, remise en question par d’autres concepts, qui allaient s’appeler les droits de l’homme, la république, la démocratie, une révolution eut lieu en France et on coupa la tête du roi. Bien sûr, il fallut que des circonstances historiques (envolée du prix du pain, famines, inégalités) suscitent un momentum et précipitent les événements. Mais le récit avait commencé à changer (car il y eut tout de même de nombreux retours en arrière).
De la même manière, il changea lorsque des pays entiers cessèrent de penser qu’un Dieu vengeur régissait leur existence en tout point, que les femmes étaient inférieures aux hommes, les Noirs inférieurs aux Blancs (même si des personnes continuent à croire à ces trois fictions)… La conjonction de nouvelles visions du monde, et de luttes sociales comme politiques, transforma les régimes.
Nous en sommes au même point. Nous avons besoin de donner du sens à ce qui nous arrive, de cesser d’adhérer à cette fiction qui érige la croissance et le profit comme des dogmes, et d’en établir de nouvelles, basées sur notre interdépendance avec la nature.
De quelle façon ? En commençant par vivre différemment. Par refuser de nous conformer à la fiction actuelle. Lorsque nous avons réalisé le film Demain avec Mélanie Laurent, nous avons montré des personnes qui inventent de nouvelles façons de faire de l’agriculture, sans pétrole et sans pesticides, d’autres qui ont élaboré de nouveaux modèles énergétiques, plus économes et basés sur des énergies renouvelables, des villes qui créent leur propre monnaie, sans intérêts, des peuples qui réécrivent leur Constitution pour changer ces fameuses règles du jeu…
A chaque fois que nous adoptons ces nouveaux modes de vie, où le sens de la vie prime sur le profit, où l’être prime sur l’avoir, où la coopération prime sur la compétition, nous participons à élaborer ces nouveaux récits, à modifier notre culture commune. A l’instar de l’époque des Lumières, ces pratiques se répandent et commencent à contaminer une part grandissante de la population. Pour réellement provoquer la bascule culturelle et politique, il convient désormais d’engager des luttes : boycottage, désobéissance civile, marches, programmes politiques alternatifs, pour inverser le rapport de force. Le momentum qui fait coïncider la lutte contre les inégalités (des « gilets jaunes ») et l’aspiration à une autre société n’est pas sans rappeler les prémices de 1789.
Puissions-nous avoir l’intelligence de ne pas reproduire les erreurs du passé et de préparer ce basculement pour qu’il ne se fasse pas (ou le moins possible) dans la violence et la souffrance. Puissions-nous apprendre dès aujourd’hui à coopérer pour ne pas disparaître.
Pascal KOTTÉ · Thu 21 Mar 2019 10:45AM
Il y aussi des liens intéressant à conserver, perdus avec le copier-coller
(EN, Climat) http://www.pnas.org/content/early/2018/07/31/1810141115
EN, http://nymag.com/intelligencer/2017/07/climate-change-earth-too-hot-for-humans.html
EN, https://dotearth.blogs.nytimes.com/2009/03/13/scientist-warming-could-cut-population-to-1-billion/
EN, https://www.washingtonpost.com/national/health-science/trump-administration-sees-a-7-degree-rise-in-global-temperatures-by-2100/2018/09/27/b9c6fada-bb45-11e8-bdc0-90f81cc58c5d_story.html?noredirect=on&utm_term=.90234a632678
EN, https://www.independent.co.uk/news/business/news/bp-shell-oil-global-warming-5-degree-paris-climate-agreement-fossil-fuels-temperature-rise-a8022511.html
A noter que les pétroliers ont intérêt à faire réduire la demande mondiale pour éviter la carence, qui obligerait d'accélérer trop vite l'abandon du pétrole, et menacer leurs pétro-deniers, spéculer sur la rareté c'est leur hobby, mais on pourrait . Donc le catastrophisme et les demandes de fonds pour palier les urgences, et transitions, cela aide aussi les pétroliers, qui seront les premiers à demander à bénéficier d'aides pour Transitionner !
Mais
https://rebellion.earth/
je ferai plus confiance :)