Justice transformative et changement social
Matin du deuxième jour des rencontres à Bordeaux, je profite que je suis tôt levé pour mettre "sur papier" les idées qui me viennent en vrac suite à la journée d'hier. Il s'agit à la fois de me clarifier l'esprit pour m'engager dans la suite au mieux, de permettre aux personnes qui ne sont pas là de contribuer à cette discussion et éventuellement de faire trace / poursuivre pour les personnes qui sont là. Peut-être aussi que d'autres matinaux du dimanche y liront déjà avant qu'on se retrouve, dans trois heures ?
Amans Sun 29 Oct 2023 6:36AM
Comment élargir et relier nos communautés ?
Monter un système restauratif qui ressemble à une énième approche de "gouvernance partagée" avec des collègues ou au sein de ma famille, ça m'intéresse et me semble essentiel, mais ça ne me suffit pas. Si je viens pour rencontrer d'autres groupes à l'échelle de la France, c'est parce qu'il me semble que les différentes approches de justice transformative ont une ambition politique plus vaste, qui a à voir avec la réponse adaptée au totalitarisme actuellement triomphant, quand même, sur notre terre.
Certes il nous faut être cohérent dans nos communautés, aussi modestes soient-elles. Mais pas "d'abord" ! en même temps, il nous faut chercher à élargir et relier ces communautés entre elles. C'est pour ça que j'ai fait la route.
La question des "tensions" fait sens à l'échelle d'un cercle. La question des conflits, à l'échelle d'une communauté. Privilégier l'une sur l'autre, c'est risquer de faire l'impasse soit sur la complexité "individuelle" (et tomber dans le piège du militantisme) soit sur la complexité "collective" (et tomber dans le piège du développement personnel). C'est cette double attention je crois que nous devons partager pour éviter la cécité systémique.
Bon dans l'ensemble je pense que c'est le cas ici einh ^^ mais je crois percevoir une petite préférence thérapeutique, et ça me donne envie d'équilibrer, dont acte déjà...
Amans Sun 29 Oct 2023 6:38AM
CohérentES*
Voilà et du coup je serais intéressé aussi pour faire "crosslink", entendre parler et penser aussi nos liens avec la justice restaurative insitutionnelle et d'autres milieux qui s'intéressent au sujet : autres réseaux de SCR, réseaux autogestionnaires ou LGBTQ (je pense au livre faire justice qui vient de paraître), etc.
Amans Sun 29 Oct 2023 6:47AM
Par ailleurs et pour finir, il y a eu un choix effectué hier par la facilitation : faire un forum ouvert... ouvert, c'est-à-dire sans question chapeau qui repose l'intention.
Je trouve ce choix intéressant, mais possiblement frustrant / confusant là encore. Me semble plus favorable que l'intention collective soit définie et non implicite, même si parfois j'aime bien l'implicite. Et même si l'explicite est aussi vaste que par exemple "comment améliorer et faire avancer les SCR à nos différentes échelles ?"
En revanche je ne souhaite pas que ce point soit discuté pendant deux heures ce matin en grand cercle où chacun-e y va de son "ressenti" et de ses "clarifications" pour vérifier qu'iel n'a pas vraiment pas d"objection, en cherchant bien 😉
Amans Sun 29 Oct 2023 6:48AM
J'en prends ma responsabilité : si j'avais été plus dispo et surtout plus attentif à mes besoins ces derniers jours, j'aurais demandé à ce que le groupe de prépa du vendredi soir définisse une intention pour le we, éventuellement à valider/amender collectivement le samedi matin avec un outil de facilitation un peu agile.

Dieudonné Sun 29 Oct 2023 8:08AM
@Amans, Merci de ce riche retour : )
Je co-signe cette prise de responsabilité et cette intention et confirme que je partage beaucoup des choses que tu as écrites. Parmi les personnes qui expriment avec aisance et clarté la complexité de ce qui nous traverse, en ce moment, il y a en a un qui m'inspire beaucoup. C'est peut-être lui qui formule le mieux mon envie, y compris en relation avec notre groupe. Extrait :
Je pense que ce qui va se passer, c'est que le pouvoir des masses et de leurs dirigeants continuera d'exister jusqu'à ce que les gens qui ne se laissent pas prendre au piège et qui refusent de s'y plier puissent créer et établir un véritable groupe. C'est-à-dire jusqu'à ce qu'ils forment un groupe qui émerge selon des principes différents.
Non pas en fonction d'une identification à un idéal commun ou collectif. Mais un groupe réellement formé de personnes qui s'aiment, ou - et cela signifie que nous devons le définir de manière linguistique - de personnes qui s'apprécient et s'aiment parce que chacun d'entre eux a sa propre opinion et s'exprime à sa manière.
C'est pourquoi il faut essayer de s'aimer les uns les autres. Nous ne nous aimons pas quand nous aimons quelque chose chez l'autre, ou quand nous aimons quelque chose chez l'autre que nous reconnaissons, qui nous ressemble.
De cette manière, dans ce cas, nous aimons notre image dans un miroir.
Nous aimons quelqu'un quand nous l'entendons avec ses propres mots singuliers comme l'aspect le plus unique de sa propre existence en tant qu'être humain. C'est là que nous aimons vraiment quelqu'un.
Et c'est là qu'un groupe cesse d'être une masse et devient un vrai groupe.
Et si cela se produit, nous n'avons besoin que d'un, deux, trois, quatre, cinq pour cent de la population, pas beaucoup plus.
Ce groupe sera alors plus puissant psychologiquement, quel que soit l'appareil sophistiqué d'endoctrinement et de propagande dans le monde.
Source : https://dieudo.fr/wiki/Mattias_Desmet/2023.10.12
À tout à l'heure pour continuer ensemble en chair et en os 😌

Christine T Sun 29 Oct 2023 8:03AM
Merci Amans pour ce long message. Le mien sera plus bref. Beaucoup de points nécessiteraient éclaircissements pour moi. Par exemple le lien avec les LGBTQR+ ? Pour la sur représentation du groupe de Bordeaux, je m'en suis faite la remarque aussi hier, même si le côté positif est de pouvoir proposer des hébergements. Il me semble que ce type de rencontre devrait "tourner" et que la prochaine devrait avoir lieu sur un autre lieu. Perso je rêve d'aller à Brocéliande !
A tout de suite pour de nouveaux partagés
Christine T
Amans Tue 31 Oct 2023 1:39PM
@Christine T Oui, pardon pour les raccourcis. Le lien avec les milieux qui souffrent tout particulièrement d'oppressions systémiques trop peu ou mal adressées par la justice instituée (et les LGBT sont particulièrement dans ce cas car en général, et même si c'est peut-être de moins en moins le cas, méprisé-es* par les flics - qui recueillent les plaintes, étape 1 du système de justice - voire par les juges, de même que les enfants et les femmes en général) : c'est que ça donne forcément plus envie de recourir à d'autres fonctionnements. Je n'ai pas lu ce récent livre Faire justice, mais j'ai entendu une critique comme kwa l'auteure, tout en citant systématiquement les différentes oppressions en vigueur (y compris spécisme / droits aux êtres non-humains) avait tendance à faire l'impasse sur les renversements d'oppressions qu'on observe souvent dans certains milieux. Typiquement "anti-" mecs cis et hétéronormalité dans les milieux homos, trans et même parfois queer - +/- subtilement. Evidemment des sujets extrêmements glissants car c'est normal - voire parfois "juste" d'un certain point de vue que de tels renversements s'opèrent, vu la souffrance massive générée par les lignes dures d'oppressions et la difficulté de se retrouver en non-mixités.
Brocéliande donc, c'est émergent : nous avons dissous notre groupe de pratique (et de recherche oui :^) régional suite au covid et aux difficultés à se rencontrer à cette échelle, et entretemps aussi de mon côté j'ai échoué à monter un système dans ma cité de Dinan... donc hoplà on remet ça sur notre territoire désormais commun, rural et moins étendu
Michaël Mon 30 Oct 2023 9:22AM
Merci beaucoup Amans pour ton message, et par la même occasion quelques nouvelles de cette rencontre à laquelle je n'ai pas pu participer (orga familiale). Sur le point, comme je le comprends, de la sur-adaptation du cadre prévu à des besoins infividuels spécifiques j'ai l'impression que ça résonne bien avec des expériences de groupe que je vis régulièrement. Y compris dans des groupes que je facilite et dans lesquels il me semble difficile de trouver un juste équilibre.
Concernant la pratique vaec le corps, je me questionne et j'y travaille aussi depuis quelques années, et commence à expérimenter à présent l'approche du Playfight (www.playfight.org) en complément.
Je serai aussi ravi de lire ou d'entendre d'autres témoignages de cette rencontre !
Et partant pour vous accueillir pour une prochaine rencontre dans les Cévennes avec notre groupe de l'Aerium ! (www.aerium-centre.org)
Avec coeur,
Amans Tue 31 Oct 2023 2:03PM
Merci aussi @Michaël pour ce retour reliant. Oui c'est un sujet déjà "classique" en facilitation, l'équilibre entre cadre et souplesse, inclusivité et sécurité - et on est sans cesse en train d'ajuster de nouveau. Ça a d'ailleurs rebondi encore autrement dimanche, mais la forme forum ouvert initiée en J1 et le fait d'avoir pu poser les bases d'un système de soutien entre autres éléments restauratifs - et pour finir, un "vrai" cercle (sans grosses bombes) a rendu la seconde journée à la fois non moins souple en terme de participation et plus "adaptable" et ... au moins aussi adaptée, je crois, en terme de formes et contenus. Donc bien.
On a eu droit à un mini-jeu de lutte du style playfight aussi entre deux piliers du réseau 😉 et de mon côté après avoir pratiqué des trucs assez proches je pense... j'ai théorisé la "sacrée lutte mixte" ici... mais j'ai pas encore eu l'occasion de tester vraiment le dispositif.
J'espère et je pense oui qu'il y aura d'autres partages bientôt sur le réseau - je veux dire d'autres autres :p 🤗
Amans · Sun 29 Oct 2023 6:26AM
Comment rendre nos cercles et nos communautés inclusives pour les personnes qui ont besoin d'efficacité ? C'est avec cette question-là que je me suis réveillé ce matin.
Il me semble par exemple que malgré la belle diversité de notre groupe ici à Bordeaux, que tu célébrais hier @Dieudonné, il y a des "catégories sociales" qui sont sur ou sous représentées... Beaucoup + de coachs et d'enseignants que de prolos, que des blancs, une moyenne d'âge assez élevée etc. Je ressens aussi des effets de milieux : normativités courantes de la CNV, liée au dev' perso (ça m'a donné l'occasion de colorier un mandala ça c'est cool !), mais aussi les habitudes et relations d'un groupe de pratique beaucoup plus nombreux que les autres, évidemment parce que local et principal organisateur. Je vois qu'il y a des efforts pour conscientiser tout cela, le dire et en tenir compte.
@Nathalie (c'est bien toi ?) tu as rappelé hier combien importante était la co-construction du cadre, comment c'était justement ça le gros de notre ouvrage. Sj je reformule avec mes mots cette attention, je demanderais : Comment veiller au "pouvoir avec" sans que des oppressions invisibles (rapports de classes, de genre, d'âge et de cultures) jouent quand même ?
Il y a cette quasi-aporie dans nos approches "dialogiques" : fondées sur le dialogue par définition, elles donnent aussi de fait un "avantage" aux personnes à l'aise avec la parole, le langage : les intellectuel-les quoi. D'où l'intérêt en effet des approches "senso" nommées hier, des jeux "ratatouille" ou de lutte comme vous l'avez manifesté hier dans le cercle, etc. Mais comment amener ça pour tout le monde, sans que ce soit du "pouvoir sur" ? La façon d'inviter les corps ne va pas mettre à l'aise les mêmes personnes selon qu'on fait de la boxe, de la méditation ou de la danse. Qui prend le lead comment, quand ça ne semble pas si simple de trouver ce qui fait sens pour tou-te-s, dans un temps court, etc. ?
Ces questions me travaillent plus ou moins depuis des années déjà dans divers contextes, et les réponses qui me viennent ont tendance à être liées à ces expériences passées. Comme je les requestionne à l'aune du présent, je les mets en doute, et je n'ai donc pas pour les porter l'assertivité qui dans les normes relationnelles engendre l'adhésion. Il me semble que ces questionnements te traversent aussi @[1000i100] Millicent Billette dans la façon que tu as eue de partager la co-facilitation hier, en veillant à inclure aussi des postures minoritaires, voire à les favoriser.
Il me semble que la façon dont nous avons fonctionné hier est parfait pour un cercle de 10-12 personnes, qu'elle commence à générer des tensions pour une quinzaine de personnes et qu'à 20 elle devient carrément inconfortable pour certaines personnes - qui s'en vont (comme Christine M qui certes était fatiguée mais qui était quand même venue pour contribuer, pas pour y renoncer) - ou qui restent, comme moi (certes j'étais fatigué aussi et au final j'ai apprécié la journée einh...)
M'a semblé excessive l'attention portée à des besoins minoritaires, et la souplesse par rapport au cadre posé au préalable : un temps et une énergie importante ont été consacrés à inclure et s'adapter à des personnes qui n'avaient ni fait en sorte de se rendre disponibles pour l'intégralité des rencontres, ni validé la condition pour y participer d'une expérience suffisante en matière de cercles et systèmes restauratifs. J'y vois ce que JP Faure appelle des "complexes d'équivalence", en co-écoute on dit "des besoins gelés", Ken Wilber appelle quelque chose comme ça la "boumérite" (blocage sur le mème vert dans la spirale dynamique, horizontalité systématique de tous les besoins, anti-hiérachisation), et les milieux autogestionnaires parlent de "la tyrannie du collectif". Je peux bien sûr expliciter tout ça...
L'autre sujet qui me travaille, et qui est lié à ceux-là, c'est l'urgence politique qu'il y a selon moi à faire avancer nos ouvrages restauratifs. Pour venir à cette rencontre, Sonia et moi avons loupé l'occasion d'un rassemblement pour la paix près de chez nous, déclenché par la guerre de Gaza, énième écho de la guerre mondiale qui se poursuit encore et encore... Quand on a peu de temps, c'est bien de ralentir, c'est vrai ! mais aussi, me semble-t-il, de s'organiser afin de nourrir la paix au mieux : j'en reviens au besoin d'efficacité. La demande en l'occurrence, ce serait qu'une prochaine fois les cadres posés au préalable soient respectés : conditions de participation, horaires, etc. Pour arriver à la fin du cercle météo, nous avons fait 6 heures de route, pratiquement sans avoir dormi. Ce n'est certes pas très raisonnable, mais c'est parce que nous étions motivé-es pour une rencontre qui avait une forme définie. Que cette forme soit remise en question "en présence" pour éviter qu'il y ait un "pouvoir sur" pris par une équipe de préparation légitime me semble illégitime. Par exemple moi j'étais intéressé pour pratiquer des cercles semi-simulés, mais pas en mode initiation pour des personnes qui n'ont jamais pratiqué. Or ça occupe toute une part du programme du samedi aprèm, et du dimanche matin. J'y trouve mon miel parce que je suis un adulte conscient, mais ça me frustre et risque de faire que je ne reviendrai pas à une telle rencontre de nouveau, me concentrant de fait davantage sur mes actions locales de nouveau que sur la coordination à une échelle plus large.