Framavox

# Sur le que faire- notre collectif et son rôle dans le mouvement

M maurizio Public Seen by 145

Chères et chers,
Nous devons préparer les réponses du collectif aux questions posées par l’AdA de Montceau-les-Mines.
Elles portent fondamentalement sur le « quoi faire » pour consolider, poursuivre et développer le mouvement dans les mois à venir.
Il aurait été bien d’avoir le temps pour en discuter longuement et collectivement avec l’AG du collectif, mardi prochain. Mais puisque, pour maintes raisons, nous sommes encore une fois en retard, je vous envoie déjà quelques réflexions en vrac pour provoquer un début de discussion qu’on pourra poursuivre tranquillement plus tard.

Tout d'abord trois constats qui me semblent s’imposer si on réfléchit sur le statut de notre collectif et des groupes de GJ à mes yeux plus significatifs.

Le premier constat, est que l’ADN de notre collectif est avant tout marqué par son être à la fois national et local. Nous le savions depuis le début. Mais les données sur les signatures de notre dernière tribune le montrent plus que clairement. Dans une première étude de ces données, Bertand a analysé la progression temporelle des signatures par rapport à leur distribution spatiale : https://hackmd.iscpif.fr/J9zGwObGS7KvWhgpBiQMjg.
Comme on peut voir, on observe deux groupes de signataires : un premier groupe d’un peu plus de 4000 personnes qui ont réagi immédiatement à l’appel en déposant leurs signatures au cours du dimanche 5 mai et un deuxième groupe, beaucoup plus important, qui signe après la publication du film du Media-TV. Nous sommes en train de traiter les professions déclarées par les signataires. Mais il est clair déjà que dans le premier groupe nous avons une très grande majorité de personnes, actives ou retraitées, travaillant dans l’éducation et la recherche. Tandis que, dans le deuxième groupe, on observe un important élargissement de l’éventail d’activités et des situations sociales.
On a très clairement le groupe des profs et celui des gilets jaunes. C’est banal. Mais, ce qui est intéressant est que la distribution spatiale est exactement la même pour les deux groupes. Dès le départ, le premier groupe n’est absolument pas confiné à l’espace parisien et de l’île de France mais il se déploie sur l’ensemble du territoire.

J’en lis donc une confirmation forte de celle qui a été d’ailleurs l’expérience du fonctionnement du groupe. Le fait que nous avons échangé et travaillé avec Driss qui habite à Marseille, Laurent à Besançon, Claude près de Montceau-les-Mines, Florence à Genève, Marie-Thérèse à Lyon, Willy dans l’Oise, puis encore Olivier qui nous parle de Mulhouse…
C’est notre spécificité et c’est ce qui pourrait constituer aussi notre force.

Le deuxième constat tient à la nature particulière de notre inscription dans l’environnement « de l’enseignement et la recherche » qui ressort à partir des échanges déployés au cours des cinq derniers mois à l’intérieur du groupe.
A ce niveau, je crois qu’on peut dire que nous partageons tou.te.s une même vision critique vis-à-vis d’un système d’éducation fondé sur la seule exigence de reproduire non seulement des formes de domination sociale mais aussi de les inscrire à l’intérieur d’un modèle de pensée totalement assujetti à la mythologie du verbe néolibéral. Mais je crois aussi que nous observons les apories d’un modèle de connaissance abstrait, totalement éloigné du réel et du savoir porté par l’expérience concrète de l’ensemble de celles et ceux qui partagent la vie d’une société.

Un troisième et dernier constat est relatif à l’ADN du mouvement des Gilets Jaunes et à la nature de sa résilience. A ce niveau, je pense que nous pouvons être tou.te.s d’accord sur le fait que dans l’ADN des GJ n’importe quel généticien trouverait avant tout la présence des gènes de l’horizontalité et de l’inscription locale. La force du mouvement a été —et je crois qu’elle réside encore— dans sa capacité de réintroduire et réinventer la parole dans les mailles des tissus locaux. Je ne vais pas revenir ici sur ces aspects. Nous les connaissons bien. Mais laissez-moi redire combien les ronds-points ont été un moment fondamental dans le retour d’une prise de parole collective et la naissance d’une réflexion sur la nature de nos sociétés et sur la signification de la démocratie.
Ce retour du dialogue et de la parole pour nommer les expériences individuelles et les reconnaitre comme sociales a été fondamental. Mais a été fondamental aussi le fait que, dans des nombreux cas, ce retour a presque immédiatement induit le développement de pratiques de partage, d’aide mutuel ainsi que l’ouverture de multiples projets d’organisations alternatives dans la gestion de l’espace local. Dans les ronds-points et à partir des AG ont été échangées des expériences mais aussi des biens concrets, ou encore des informations précieuses pour résoudre un problème ou pour trouver du travail… Dans plusieurs cas l’intervention des GJ a permis d’appuyer et faire connaitre les grèves et les manifestations des couches salariales les plus exploitées.

Je viens maintenant aux propositions que le collectif pourrait porter à l’AdA en se fondant sur ces constats.

Si nous tenons à l’esprit ces trois dimensions, je pense qu’une première contribution que le collectif pourrait apporter au mouvement pourrait être de mobiliser notre réseau national autour d’une série d’activités visant à accompagner et favoriser le développement d’un large espace d’alternatives concrètes aux structures du monde néolibéral.

En premier lieu, je pense qu’il serait possible et souhaitable d’imaginer de bâtir une Université Populaire dans laquelle les universitaires fourniraient les salles et les gilets jaunes dispenseraient les cours.
J’essaye de m’expliquer :
Je viens d’opposer les connaissances abstraites de l’éducation nationale au concept de savoir, de connaissance concrète. Car il me semble que le problème est donné par le clivage, de plus en plus béant, entre un système d’enseignement programmé pour reproduire des pratiques qui nous étranglent et l’expérience vécue de la grande majorité de la population. Des « experts » nous parlent économie, stratégies de croissance et de contrôle des dépenses publiques… Mais tous les travailleurs savent, très concrètement, quel est le fonctionnement réel d’une économie qui retranche la plus grande partie de la valeur de leur travail pour la transférer vers les dividendes des actionnaires. Et celles et ceux qui travaillent la terre savent combien les différentes pratiques de gestion du territoire imposées depuis plusieurs décennies par des lobbies et des groupes puissants sont contraires à la nature même de l’environnement.
Or je crois que c’est bien l’expérience vécue qui forme et marque le savoir d’un individu, d’un groupe, une population.
Je pense donc qu’il serait juste et possible de proposer aux collègues qui travaillent dans l’enseignement, d’organiser, dans leurs écoles, lycées et universités des cours dans lesquels des artisans, des paysans, des maraîchers, des forestiers des retraités, chômeurs, des informaticiens, etc., nous montreraient, à partir de leurs expériences concrètes, comment fonctionne réellement un système d’usine, une plateforme de distribution, la gestion du territoire, la gestion de la santé publique, l’approvisionnement des villes, l’économie, l’agriculture biologique mais aussi l’impact de l’agriculture intensive…
Ces cours pourraient être enregistrés en constituant une base des connaissances concrètes sur les pratiques et les fonctionnements réels de la société.

La mise en place d’un tel projet pourrait aussi fournir un deuxième axe d’action pour le collectif fondé sur la tentative d’aider au renforcement de l’enracinement des groupes de GJ dans les mailles du tissu local d’un quartier, un village, un territoire. Puisque les formes de savoir pratique récoltées seraient aussi nécessairement marquées par les différents contextes territoriaux, elles permettraient de développer des liens en mesure de connecter de manière novatrice et alternative diverses ressources locales. Dans le cas de l’Île de France, par exemple, je pense qu’il serait utile d’apprendre par les maraîchers de la plaine de Gonesse, menacés par le désastreux projet d’Europa City, les pressions et les enjeux qui pèsent sur leur travail tout en voyant avec eux s’il y aurait la possibilité d’organiser avec les différents groupes de GJ, des ventes directes et à bon marché des leurs produits. De même, on pourrait envisager des activités analogues avec les GJ de Rungis qui pourraient parler de leur expérience du complexe système d’approvisionnement alimentaire de la métropole parisienne. Et on pourrait imaginer bien d’autres dimensions sur lesquelles construire des connexions entre savoirs pratiques et ressources sociales : sur la connaissance du monde du droit, de la banque et du système monétaire, de l’informatique, etc.

Enfin, une dernière suggestion sur le rôle que le collectif pourrait jouer pour aider à consolider et développer le mouvement dans les mois à venir. Je me dis que nous pourrions consolider les mailles du réseau noué au cours de premiers mois d’activité pour les mettre au service du mouvement afin d’œuvrer pour une convergence massive et réelle entre les différents groupes de GJ et les autres organismes militants.
Dans cette optique je crois que des projets comme celui proposé par Christian Topalov appelant à « une manifestation contre toutes les violences d’Etat avec tous les groupes et organisations qui le voudront » pourraient devenir des points importants d’agrégation s’ils étaient conçus comme des rassemblements de niveau national et longuement préparés.
Plus espacés des actuels actes hebdomadaires, ils devraient viser à réunir des masses très importantes de manifestants, plus difficiles à ignorer par le pouvoir et les médias traditionnels.

A

Audejean Mon 10 Jun 2019 5:11PM

Merci Maurizio pour ces suggestions auxquelles je souscris entièrement.

M

Marité Mon 10 Jun 2019 8:36PM

Bonjour à toutes et tous,
Je voudrais revenir sur ce qui ferait la spécificité de notre groupe évoquée par Maurizio, en quoi et dans quelle mesure cela pourrait être notre force et le rôle que nous pourrions jouer pour participer au développement du mouvement des gilets jaunes et ce en m'appuyant sur ce qui est en cours à Lyon.
Notre spécificité est d'être à la fois impliqués et dans un réseau national et dans des groupes locaux ainsi que dans des actions concrètes des gilets jaunes. Ainsi à Lyon nous sommes 3 chercheur(e)s gilets jaunes à être impliqué(e)s dans un groupe GJ d'abord en tant que GJ. Nous participons à ses diverses actions (manifs, OP, Assemblées, publications internet pour le site printemps-jaune.fr)) et plus particulièrement à une commission revendications - débats qui a déjà organisé un cycle de 5 dialogues populaires et va organiser un 2ème cycle de 3 autres séances pour approfondir et structurer une liste de 44 revendications votées et classées par une assemblée populaire de 700 participants. Certains gilets jaunes se posaient la question de dépasser le seul cadre local et ayant entendu parler des assemblées du "vrai débat" cherchaient à établir des ponts. Or 3 autres chercheurs et ingénieurs du laboratoire Triangle travaillaient avec les gilets jaunes de la plateforme Le vrai débat pour organiser des ACD (assemblées citoyennes délibératives). Notre rôle a alors consisté à échanger les informations entre "gilets jaunes chercheurs" puis à mettre en relation les gilets jaunes de Lyon travaillant sur les débats et les revendications avec ceux du vrai débat. Je ne rentrerai pas ici dans le détail de ce que donnent ces premières rencontres sur le plan des échanges autour : des méthodologies du débat, le débat public et la construction de revendications, de propositions, d'initiatives, de lois, à partir de points de vue pluralistes et/ou contradictoires c'est trop tôt. Il s'agissait surtout d'illustrer la dernière suggestion de Maurizio sur le rôle que pourrait jouer notre collectif pour "aider à consolider (ou à nouer) les mailles du réseau", "pour oeuvrer concrètement à une convergence entre groupes de GJ" et tentatives de coordination. Cette première étape a permis une rencontre par le bas sur 2 manières de construire le débat public, par des échanges d'expériences, des invitations réciproques et par le projet commun de co-construire une ACD à Lyon et dans ses environs. Je souhaitai juste ajouter au débat cette expérience différente mais complémentaire de celle de Christian Topalov comme préfiguration de ce que pourrait être notre spécificité et nourrir à plus long terme le projet "d'université populaire" de Maurizio.

NI

Tue 11 Jun 2019 7:35AM

Hello,

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G

Giavarini Tue 11 Jun 2019 7:14AM

Bonjour, je dois dire que les termes de la première proposition m’ont pas mal irritée. Elle me paraît poser plusieurs problèmes :
- l’assimilation des savoirs appris à l’école au langage des experts en matière d’économie et de profit ; et l’invalidation des premiers par les seconds. Et avec ça, l’évacuation de l’école comme lieu de construction d’une égalité sociale et citoyenne. Je sais bien qu’il y a plein de problèmes de ce côté là, mais invalider a priori ce lieu historique de promesse d'émancipation me paraît très problématique. Y a-t-il besoin de tenir un discours aussi simpliste sur « l’éducation nationale » (je note d'ailleurs qu’il ne s’agit pas de l’école) pour poser que la novlangue des « experts » est stupide, arrogante, et ignorante?
Peut-être cette idée part-elle d’un sentiment de culpabilité des intellectuels qui ne peuvent qu’observer l’adhésion de nombre d’entre eux aux séductions de l’expertise. mais si tel est le cas, je trouve que nous avons à nous débrouiller avec cette culpabilité, et à ne pas
l’amener dans d’autres débats.
Et d’autant plus 1. que l’école, dans ces missions, et le secondaire, et l’université, sont très violemment attaqués par le gouvernement Macron, à la suite des précédents gouvernements, mais avec une brutalité plus nue, plus directement branchée sur les directives européennes (comme dans les autres secteurs). Alors que beaucoup d’enseignants font grève depuis plusieurs semaines pour empêcher que leurs conditions de travail ne soient détruites, mais aussi que demeurent les conditions d'un minimum d’égalité de l’école publique, au moment où l’on impose aux universités, après le secondaire, les «compétences » sur la base très claire d’un démantèlement des connaissances (en tant que
construites, et transmissibles), les présupposés (ou ses impensés, je ne sais pas) de la proposition me semblent vraiment déplacés. C’est comme si le cadre général (des «savoirs»), au delà des GJ, n’était pas vu. 2. Or, il me semble avoir lu qu’il y avait dans les revendications sociales des GJ la possibilité de mener les enfants, leurs enfants, dans les études. Oui, bien sûr : parce que c’est une chose de valoriser les savoirs élaborés et mis en œuvre dans les différentes formes de travail (qu'il soit manuel ou intellectuel), c’en est une autre de décider a priori la supériorité des uns sur les autres (fût-ce pour renverser la norme de jugement).

  • autre problème , l’opposition entre savoirs abstraits et expériences vécues sur la base d’une supériorité des secondes (parce qu'elle marque le "savoir d'un individu, d'une population", etc.) par rapport aux premiers, et la valorisation a priori de toute expérience en tant que pratique par opposition à ce qui serait "abstrait". D'une part, je doute que l’expérience des travailleurs qui subissent les conséquences de la dévalorisation du travail, des démantèlements tous azimuts, de la promotion de l’employabilité contre les formations, du management, etc., je doute que cette expérience soit toujours bonne parce que vécue, ramenable à un "savoir" autre que l'expérience de la destruction. Il y a là une équivoque qui me gêne beaucoup, qui se fonde sur la valorisation a priori de l’expérience, mais unifie aussi fortement la sociologie tout de même plus complexe que cela des GJ. D'autre part, on le sait bien, il y a des connaissances qui passent par l'abstraction (la généralité, la théorie, etc.) dans les savoirs pratiques.

S’il s’agit de préserver des savoirs pratiques tels qu’ils sont mobilisés par certaines luttes, revalorisés dans certains cadres (écologistes notamment), y a-t-il besoin de nous, universitaires pour dire que ces savoirs sont meilleurs que d’autres? Le pire est que cette valorisation des savoirs « pratiques » ne gênera aucune direction d’université, aucun expert de ministère parce que ce qui est dans le collimateur de ceux qui ont en particulier les SHS en horreur, ce sont les idées, les savoirs théoriques, pas les savoirs pratiques. Rien de plus commun en réalité que la valorisation des « savoirs pratiques » et de « l’expérience"… Ils ne font pas peur au système qui a toutes les capacités pour les mouliner à sa sauce et les digérer.

Je crois reconnaître aussi entre les lignes dans cette proposition le souhait que la lutte change la sociologie des acteurs, ait un effet réel dans les rapports sociaux. Mais tel quel, cela me paraît une vue de l’esprit. Quand nous allons manifester, et même prendre des gaz dans la figure, nous n’en sommes pas moins des fonctionnaires ; et quand nous proposons de renverser l'axiologie des savoirs aussi. Je sais que beaucoup de seront pas d’accord, mais je crois que c’est par la structure, par le structurel qu’on change les choses. Et je me demande donc depuis des mois comment on va faire pour faire tomber un gouvernement qui n’écoute pas les grévistes, qui ne négocie pas, qui fait frapper ceux qui manifestent, qui ramène chacun à sa supposée place sociale, etc. Je me demande comment on va imposer un changement de voie en matière écologique au niveau structurel, et non pas au niveau des individus qui trient leurs ordures, et culpabilisent de n’en faire pas assez (du moins quand ils sont vraiment concernés). Comment de toutes les luttes locales, on va tirer une victoire générale.

Alors, le local, d’accord. Mais jusqu’où va-t-on dans le local? Qu’est-ce que cela peut vouloir dire pour l’ESR?
Pour résumer, le problème que la proposition me paraît soulever est celui de notre place d’enseignants-chercheurs et chercheurs dans le mouvement des GJ, peut-être ici du lien entre ce qui a fait l'objet des luttes depuis 2007 contre la destruction de l'université démocratique et ce mouvement. Il me semblerait à ce titre plus judicieux de parler du « travail » que des savoirs – du travail, intellectuel, manuel, expérientiel même… De parler des conditions du travail qui détruisent la production et la transmission des connaissances – les précaires à l’université, dans le secondaire, dans le primaire. C’est un sujet, c’est le présent. La destruction par l’empilement des réformes, par la facilitation des recrutements, d’un socle commun de formation des enseignants, des statuts – de l’école jusqu'à l'université comme projet démocratique de société, de ce que ParcourSup fait aux bacheliers, de ce que les options vont faire aux lycéens, de ce que les frais d’inscriptions font aux étrangers : cela a à voir avec les luttes des GJ.
Laurence

A

Auffinger Tue 11 Jun 2019 10:19AM

Bonjour,

Je suis plutôt d'accord avec une partie de votre critique sur la première proposition. En tant qu'enseignant.e.s-chercheur.se.s (doctorant dans mon cas), je pense que notre compétence la plus adaptée à ce mouvement est justement la production de savoir à partir de l'expérience de ce mouvement et de ses constituant.e.s. De ce point de vue là, ne pourrait-on pas envisager que la proposition d'Université Populaire recouvre en fait la transmission de ce savoir ?

En ce qui concerne le changement structurel que vous appelez (et moi aussi) de vos vœux, au vu du traitement des Gilets Jaunes par le gouvernement (vous avez bien résumé sa surdité et sa violence), je crains que la seule solution soit une victoire totale, sur tous les fronts, des revendications des Gilets Jaunes pour imposer un changement structurel à la fois dans l'éducation, mais aussi dans l'organisation du travail, de la santé, des institutions... Un contournement de cette victoire "totale" serait de contribuer à créer nous-même dès maintenant les structures parallèles qui nous semblent correspondre à la façon dont nous voyons l'éducation. Dans ces termes, l'Université Populaire serait à la fois un lieu de transmission de savoirs théoriques libérés du dogme néolibéral (par exemple en cours d'économie) ainsi que de savoirs pratiques issus des luttes et des travailleur.se.s (organisation d'un territoire autour de circuits cours et de transports en commun, ou nouvelles pratiques de la démocratie).

Je serais ravi de savoir ce que vous pensez de cette reformulation peut-être confuse.

Jérémy

DU

Bloch Tue 11 Jun 2019 10:06AM

Bien cherEs,

En lisant tous vos messages tout aussi
intéressants les uns que les autres qui portent sur la
structuration du mouvement, mais résidant à l'étranger et donc
incapable de me lier à un groupe de Gilets Jaunes puisque ceux
existant dans la région transfrontalière ont tous disparu, ni à
vos AG régulières où se prennent les décisions horizontalement,
j'ai décidé de me retirer de cette plateforme de discussion. Je
n'y suis d'aucune utilité. Peut-être est-ce le cas d'ailleurs
d'autres personnes isolées qui ont signé la Tribune et/ou la
pétition mais qui au moins résident en France, je n'en sais rien.

J'attends la réponse de Bertrand pour
m'en désinscrire n'ayant pas trouvé le moyen de le faire.

Je reste bien sûr solidaire de ce
mouvement des Gilets Jaunes mais cette solidarité n'étant
nullement active - elle supposerait une proximité et un lien avec
un groupe de Gilets Jaunes - , je pense préférable de ne pas
rajouter à ma frustration celle de mon inutilité. Je souhaite
beaucoup de succès à ce mouvement et lirai vos messages éventuels
sur la liste de discussion précédente à laquelle je reste encore
inscrite pour l'instant.

Amitiés solidaires,

Françoise

Le 10.06.19 à 10:05, maurizio
(Framavox) a écrit :

P

Pourcher Tue 11 Jun 2019 12:37PM

Je souscris en tous points aux propositions de Maurizio!
elles posent les bases concrètes de projets de société, réalisables dans tout le pays, dans tous les secteurs de la société, et, très important, impliquent la jeunesse!
Il me semble que les détails et les moyens de les réaliser peuvent être objets de réflexion et suggestions,, ce qui est d’ailleurs clairement proposé par son message.

Je suis aussi enthousiasmée par le succès et l’esprit des engagements de Maïté à Lyon.

Mais là, je réalise qu’il y a bel et bien pour le moment un clivage dans notre mouvement: de telles actions ne peuvent être organisées que dans les grandes villes universitaires.
(Les 2 ou 3 chercheurs que je connais ici ont leur base de travail à Paris)
C’est pourquoi je proposerais que l’on réfléchisse aux ponts et liens pour que notre action puisse s’implanter partout: aussi dans les zones industrielles plutôt sinistrées, en milieu rural etc...
Je rencontre ce soir les GJ de Montceau, j’ai lu et entendu leur histoire, leurs combats et leurs revendications. Il me semble qu’ils doivent investir une énergie colossale déjà pour ne pas être écrasés sur le plan local .
C’est pourquoi je proposerais une coopération sur un plan local, régional à définir par chaque groupe avec des échanges, des actions et projets ( par exemple que les Gj lyonnais invitent les JG de Saône et Loire à des débats et vice-versa). En tout cas que l’on crée un espace d'échanges régional ou local (à une échelle de distances pas trop longues) afin de donner au mouvement des GJ de l’ampleur et de la cohésion, et de l’efficacité.

Je suggèrerais aussi en ce sens la création d’un journal pour 2 raisons
1 la communication par les réseaux sociaux concerne l’instant, l’urgence .
2 il n’y a guère d’analyse, (ce n’est pas le cas des plate formes, certes), et ne serait ce pas un excellent moyen de communication et d’informations.
Je suggère par exemple: possibilité que l’edito et le premier article sur la vie d’un groupe soient rédigés par ce groupe
Qu’il y ait plusieurs rubriques: sujet de réflexion et appel à projets et idées sur le sujet
Explication de l’impact des lois et ordonnances impactant notre vie et nos droits
Nos droits(manifestations, interpellations, licenciements, droit au logement etc....)
Projets et causes à soutenir ou partager
Témoignages de GJ
Qui nous aide, nous soutient, qui interpeler etc.....
Ce sont juste des idées.
Je pense que ce qui compte est notre engagement pour la cause et non pas l’endroit où l’on vit.
Toutes nos forces sont utiles
(Françoise, attends un peu s’il te plaît!)

M

Marité Tue 11 Jun 2019 1:14PM

J'aime bien l'esprit de la proposition sur l'université populaire. Je pense qu'il faut aller vers ça mais que cela doit se construire avec les gilets jaunes et qu'il faudra un peu de temps et une idée sur la méthode. En pensant à l'expérience lyonnaise et aux individualités Je vois bien un cycle sur débat public et démocratie à partir des expériences concrètes du syndicaliste de la branche énergie, de l'informaticien, du squatteur activiste culturel, du chômeur, du bénévole associatif, de la secrétaire administrative, de l'ingénieur CNRS et de 2 étudiantes qui participent à l'animation de la commission débats. Mais on pourrait aussi envisager quelque chose sur les métiers du commerce en ligne et le développement des plateformes de logistique comme Amazone avec ses entrepôts géants près de l'aéroport de Lyon que les gilets jaunes bloquent régulièrement, ses conditions de travail et ses destructions d'invendus en tenant à chaque fois à la manière des gilets jaunes production et consommation, producteurs et usagers, pratiques et connaissances.
L'intention est de lier action revendicative et de blocage, auto-organisation et auto-formation permanente sur les lieux de l'action comme le font les gilets jaunes.
J'ai bien conscience des questions que tout cela peut poser au moment où le pouvoir détruit méthodiquement tout ce qui fait les services publics. Mais je crois aussi à la puissance des alternatives et de l'intelligence collective. Discutons en mais n'opposons pas les formes d'action.

M

maurizio Tue 11 Jun 2019 1:34PM

Super ! J’ouvre Framavox pour répondre à Laurence et voici que je trouve déjà plusieurs messages à lire. Peut-être ma réponse est donc périmée. Mais je vous l’envoie quand même. Ça permettra de nourrir le débat.


Merci à Laurence pour sa contribution !
Ses questions critiques sont justes et elles vont peut-être nous permettre d’avancer un peu.
Oui, exprimées sur une seule page et de manière schématique mes réflexions peuvent sembler plus que simplistes. Je vais donc essayer de donner une première réponse tout en risquant d’être encore plus schématique.

D’abord il faudra que je dise que la question principale, pour moi, n’est pas d’opposer à un savoir qu’on définirait comme « savant » un autre savoir dit comme « populaire » qui serait plus juste et plus réel. Mais l’idée est plutôt de construire collectivement une base importante d’observations empiriques sur les fonctionnements concrets du marché du travail, de la gestion des ressources naturelles, des biens communs, des échanges et plus en général de tout ce qui constitue et détermine notre vie quotidienne.

Je crois que la constitution d’une telle base de données permettrait de récolter les éléments de preuve nécessaires pour nous aider à contredire et démasquer la novlangue des experts.

C’est surtout cette dimension de critique concrète qui me semble importante. Au cours de ces derniers mois j’ai pu échanger avec beaucoup de femmes et d’hommes engagés dans le mouvement des gilets jaunes. Et j’étais étonné de retrouver, presque mot à mot, les réflexions que les ouvriers du 19ème siècle exprimaient au cours de leurs luttes, vis-à-vis des théories patronales et savantes. Dans les années 1840, par exemple, quand plusieurs économistes de la déjà très conservatrice Académie des Sciences Morales et Politiques avaient publié leurs théories sur le fonctionnement du marché du travail, plusieurs ouvriers s’étaient insurgés en montrant, chiffres à la main, comment le fonctionnement réel était bien différent et à quel point ces théories savantes cachaient tout simplement les pratiques de prédation des détenteurs du pouvoir.

Or, dans différents débats et AG des gilets jaunes, j’ai pu entendre des analyses tout aussi précises sur l’organisation du marché du travail et du crédit, mais aussi sur la gestion du territoire et des biens communs. Ainsi, à Saint-Nazaire, dans la commission sur la convergence écologique, un paysan expliquait très précisément à quel point les théories développées par les experts ministériels, loin de favoriser le développement des énergies renouvelables, risquaient de le bloquer pour plusieurs années tout en provoquant des énormes dégâts aux territoires.

Ce ne sont que des petits exemples mais c’est de ce type de savoir, qui exprime une connaissance précise sur une partie du fonctionnement de notre société, qui me semblerait important de pouvoir récolter les témoignages. Comme j’avais écrit, je crois vraiment qu’il serait utile de pouvoir récolter plusieurs témoignages couvrant un large éventail d’expériences différentes et enracinées dans différents contextes physiques et sociaux.

Ceci impliquerait d’ailleurs aussi la nécessité de donner la parole aux femmes et aux hommes qui travaillent dans le milieu de l’éducation et de la recherche puisqu’elles/ils pourraient témoigner précisément du décalage qui existe (à mon sentiment depuis toujours mais certainement aujourd’hui) entre les théories ministérielles et les pratiques qu’elles/ils perçoivent et subissent quotidiennement. Car, pour nous comme pour tout autre travailleur et travailleuse, l’expérience vécue est bien celle « de la destruction » et non de la construction du savoir. A ce niveau, d’ailleurs, je pourrais moi-même très bien faire partie de l’échantillon des témoins possibles, à partir de mes plus de quarante ans dans le milieu de la recherche et de l’enseignement…

Voilà donc quelle pourrait être, pour moi, une université des savoirs concrets. Rien qui opposerait un savoir du bas à un savoir d’en haut, donc. Mais effectivement quelque chose qui essayerait de démasquer les apories d’un savoir uniquement théorique à partir d’un autre savoir fondé sur une connaissance directe et précise du phénomène dont on prétend parler et sur lequel on souhaite intervenir.

A ce niveau il faudrait d’ailleurs ouvrir une discussion plus large sur le statut des modèles scientifiques qui pèsent sur les formes et les contenus de l’enseignement scolaire depuis la naissance de l’école républicaine. Je crois que ça serait plus que nécessaire car la science n’a jamais été objective et neutre. Depuis la révolution et le début du 19ème siècle, nous assistons à une lutte farouche entre deux modèles totalement opposés d’appréhension du réel. D’une part, un modèle marqué par une vision qui perçoit les phénomènes de l’homme et de la nature comme structurés à partir de catégories bien établies et parfaitement ordonnables. D’autre part, une vision qui perçoit le réel plutôt à travers la dimension de sa complexité et des tensions contradictoires qui le traversent.

C’est un discours long qu’il n’est peut-être pas nécessaire de développer ici. Mais il est par contre intéressant de souligner que c’est bien l’empreinte de cette première vision étriquée du réel qu’on voit massivement à l’œuvre dans les programmes scolaires depuis la Troisième république à nos jours. Certes, en creusant bien dans l’histoire de la science, on peut trouver les traces d’une vision plus attentive à la complexité. Mais toujours dans les marges des récits officiels et très proches de l’histoire des mouvements sociaux. Je pense notamment au magnifique projet de l’Encyclopédie Nouvelle lancée en 1836 par Jean Reynaud et Pierre Leroux, monument d’intelligence et d’ouverture, écrasé par le rouleau compresseur les corporations universitaires et des Académies réanimées au cours de la Monarchie de Juillet par le premier ministre de l’époque, le très conservateur François Guizot. Et les exemples pourraient se multiplier. Tout au long des deux derniers siècles, les sciences de l’homme qui ont dominé les structures de l’enseignement ont été lourdement marquées par une vision réductionniste des phénomènes au détriment d’un savoir objectivé par l’observation précise du réel.

Je me rends compte de m’exprimer encore une fois de manière trop simpliste. Mais je crois qu’il faudrait aussi tenir compte de l’impact des modèles de connaissance dispensés par l’éducation nationale sur la construction de notre monde et de notre environnement. Si je suis d’accord avec Laurence sur le fait que l’école devrait être « le lieu de construction d’une égalité sociale et citoyenne » j’ai beaucoup des doutes sur le fait que cette école a réellement accompli une telle tâche. Certes, pour des nombreux enfants le passage à travers le parcours scolaire a ouvert des possibilités importantes. Mais, pour la plus grande majorité d’entre eux et d’entre elles cela a aussi signifié un parcours à travers lequel ils ont petit à petit appris à réduire leur imaginaire et leur possible ouverture vers le monde…

A suivre !
Et amicalement !

G

Giavarini Wed 12 Jun 2019 10:01PM

Bonsoir, désolée Jérémy, Marité et Maurizio, je vous ai lus et pas oubliés, mais il me faut un peu de temps pour répondre, et j'en manque ces jours-ci. J'essaie de le faire demain. Bonne nuit!

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